Latah
S
ud-Vietnam,1965. Une petite troupe de soldats américains avance dans la jungle, un enfer vert au milieu de nulle part. Ils sont jeunes, ne comprennent pas trop ce qu’ils font là et encore moins les enjeux géopolitiques dans lesquels leur pays est englué. Ils ne verront du reste jamais l’ennemi, du moins celui portant une arme. Lorsque les découvertes de corps mutilés se multiplient, ils réalisent que la menace est ailleurs. Le journaliste Huyn Than My accompagne la bande ; il raconte aux combattants la légende de Latah, un esprit pour le moins ambigu. Ce dernier accueille les douleurs du peuple, mais peut aussi se montrer vengeur et cruel.
Latah se dévoile comme un album de climat à la confluence de plusieurs genres, principalement le récit de guerre et le drame d’horreur. Le rythme est lent et il se passe relativement peu de choses pendant le premier tiers du livre, lequel insiste sur les tensions interpersonnelles, notamment raciales, lesquelles s’ajoutent à la peur de croiser l’adversaire. Ce huis clos au cœur des grands espaces est plutôt réussi. La suite l’est moins, alors que le scénariste transporte ses personnages dans un univers particulièrement glauque et sanguinolent. Ce segment s’étire longuement, l’histoire se fait racoleuse et la subtilité n’est plus au rendez-vous.
Auteur complet, Thomas Legrain défend son scénario avec un dessin réaliste de qualité. Familier avec la saga militaire (The regiment - L’Histoire vraie du SAS, Bagdad Inc.), il sait construire une planche et laisser parler ses images. Les dialogues sont d’ailleurs absents de nombreuses vignettes, même si, à d’autres moments, les phylactères souffrent d’embonpoint. L’action est souvent limitée : des militaires circulant à la queue leu leu apparaissent à l’avant-plan d’un décor exposant une végétation débridée. Dans cette forêt, même le ciel se colore de vert. Ces scènes demeurent les plus prenantes. L’artiste y propose de larges cases, parfois pleine largeur ; certaines s’étendent sur une double page, adoptant du coup une esthétique cinématographique convaincante. Un seul bémol, quelques comédiens manquent de naturel.
Un projet sous stéroïdes qui plaira aux amateurs d’Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola, comme à ceux d’Alien, de Ridley Scott.
5.7
