Tanguy et Laverdure (Une aventure "Classic" de) 5. Le Mystère du Sabre jaune

À l’aube des années soixante, en pleine Guerre froide, les liens militaires entre la France et le Canada se resserrent. Tanguy et Laverdure multiplient les exercices amicaux aux côtés de leurs collègues nord-américains, depuis Creil ou à partir de la base OTAN de Marville, dans l’Est, où séjournent les Canadiens. Ces derniers ne sont pas peu fiers de leurs installations, vastes et modernes, qui leur font oublier la distance qui les sépare du pays. Les appareils font également partie de cette rivalité pacifique. Les Super Mystères B2 se mesurent aux F-86 « Sabre », alors célèbres pour le rôle qu’ils ont joué lors de la Guerre de Corée, qui s’est achevée à peine dix ans plus tôt. Surnommés « Les Trois Mousquetaires », Perkins, Arcand et Fletcher ont d’ailleurs participé à cette dernière. Comme les héros d’Alexandre Dumas, ils étaient alors quatre. Un jour, au beau milieu d’une évolution aérienne, Perkins quitte le groupe sous un prétexte fallacieux, pour se rendre à un rendez-vous fixé par un mystérieux billet. Là, il est rejoint par un Sabre, sorti de nulle part, arborant une tête de pirate. Son pilote lui demande « où est l’or ? » et abat l’appareil. Perkins s’en sort en s’éjectant in extremis. La thèse de la panne d’oxygène, et les hallucinations qui vont avec, est privilégiée par les techniciens, mais les deux compères pilotes vont enquêter de leur côté.

La série Tanguy et Laverdure est née dans Pilote, en 1959, de l’association de Jean-Michel Charlier, inépuisable conteur, et Albert Uderzo, qui commence la même année les pérégrinations d’un petit Gaulois arborant un gros nez. Malgré de multiples changements d’auteurs et de dessinateurs, le trente-cinquième album est sorti en 2022. La collection « Classic » propose, depuis 2016, des aventures inédites, intercalées entre les premières histoires, sous forme de diptyques. Le Mystère du Sabre jaune en débute la troisième, toujours sous la houlette de Patrice Buendia (Buck Danny, Médecins de guerre) et Matthieu Durand (Jack Blues, Team Rafale). Le projet vise à conserver l’esprit de la saga initiale, tout en la modernisant – avec parcimonie – ou lui ajoutant des éléments inédits. Le flegme pragmatique de Michel Tanguy et la verve enthousiaste d’Ernest Laverdure servent toujours de points de repères. Mais l’arrivée de Cochran, de la Royal Canadian Airforce, et du truculent commissaire Flèche, sorte de Maigret bougon et impulsif, marchant tous deux sur les plates-bandes de l’autre, apporte de l’épaisseur à la trame principale et renouvelle les modalités humoristiques de cet univers. L’intrigue est menée avec mesure et allant, livrant une kyrielle de questions et ouvrant de multiples portes, que le lecteur franchit avec plaisir.

Le graphisme de Matthieu Durand est dans la tradition, sans être dans le mimétisme. Il excelle dans les scènes aériennes et la peinture des fuselages de toutes natures. Mais il est également riche et pertinent lorsqu'il s'agit de croquer le plancher des vaches (ses vues de la campagne sous la pluie sont remarquables) ou les couples franchouillards et bien-pensants des années De Gaulle. Trésor perdu, action, trahison, tensions internationales, humour et clins d’œil à certains classiques de la bande dessinée franco-belge sont les ingrédients de cette œuvre en tous points réussie.

Moyenne des chroniqueurs
8.0