Fatale fiancée

L e one-shot issu de la collaboration entre Suzuki Matsuo et Naoki Yamamoto est enfin disponible pour les lecteurs francophones.

Kazushi, 31 ans, a une vie des plus banales pour un Japonais de cet âge. Il a repris l'entreprise familiale, au grand dam d'un contremaître qui aime lui rappeler qu'à l'époque de son père, ce n'était pas comme ça. Le jour où un intérimaire a un accident, le jeune patron se voit contraint d'emprunter de l'argent à des usuriers, afin de contenter les exigences du frère du blessé. Ce coup du sort va être chamboulé par l'arrivée de la charmante et mystérieuse Mitsuko. Mais la roue va encore tourner...

Le pitch peut sembler banal, mais il est trompeur. De fait, Matsuo Suzuki signe un scénario obscur qui va perdre le lecteur jusqu'au dénouement de l'histoire. Cet acteur, écrivain et scénariste pour le cinéma et la télévision est une personnalité culturelle fort connue au Japon. Grâce au hasard et à un éditeur ayant le nez fin, ce récit est tombé entre les mains du mangaka, alors qu'il devait être adapté pour le petit écran. Comme le veut l'adage, il a bien fait les choses puisque le maître de l'ero-manga est un grand admirateur du travail de Suzuki. La rencontre des deux hommes aboutit à cet album atypique en 2005. En effet, l’environnement familial dans lequel gravite le personnage principal n'est classique qu'en façade. L'ambiance y est glauque, avec un père omniprésent et vénérant son futur cercueil, une mère qui cède aux caprices mammaires de son fils. Le ton n'est pas sans rappeler le film de Takashii Mike, Visitor Q. Là-dessus, l'irruption de Mitsuko apporte une fausse normalité, en particulier dans la scène de présentation pour le mariage. Là encore, les auteurs s'ingénient à tromper les lecteurs, car cette femme va perturber davantage le quotidien de Kazushi. Placée au cœur de l'ouvrage, la question de la normalité et de la conformité offre à Suzuki l'occasion de s'en amuser et de jouer avec les nefs du public.

Le style graphique de Yamamoto correspond à l'ambiance du récit. Cet artiste, artisan du manga érotique, sort de temps en temps de sa zone de confort pour des titres historiques la plupart inédits en français. D'ailleurs, autant son nom fait écho dans son pays, autant il est un illustre inconnu en Occident. Les bédéphiles les plus âgés se souviennent d'Asatte Dance que Tonkam avait déniché, ou de Blue publié par IMHO. Le trait est clair, alliant les hachures et la ligne classique. Il parvient à iplacer quelques scènes de sexe, qui ne sont pas gratuites et contribuent à l'intrigue et à la tension.

L'ouvrage proposé est l'adaptation de la réédition japonaise parue en 2016. Le livre est de facture correcte en dépit d'une qualité de papier qui pourra sembler fine à certains. Néanmoins, l'éditeur a conservé les premières planches en couleurs et propose une traduction des plus adaptées, grâce au travail méritoire de Dominique et Frank Sylvain.

Fatale fiancée est un manga surprenant, jubilatoire et déroutant, qui plaira aux amateurs de gekiga et de récit noir et absurde.

Moyenne des chroniqueurs
7.0