Blake et Mortimer (Les Aventures de) 29. Huit heures à Berlin

P rintemps 1963. Cela fait deux années que Berlin est défigurée par un mur, tâchant de rendre impossible tout passage entre l’Est et l’Ouest. Pourtant, les tentatives sont nombreuses. Cette fois, c’est Werner qui essaie de rejoindre la partie occidentale. Il est touché par les tirs des Vopos. Il décède après avoir interpellé le directeur du service de renseignements ouest-allemand, en prononçant ce mot : « Doppelgänger ». Dans le même temps, Mortimer se prépare à rejoindre une consœur archéologue, Olga Mandelstam, en Oural, sur un chantier devant prouver que la région a été occupée par un peuple slave avant l’arrivée des Latins. Une telle découverte serait bienvenue pour le pouvoir soviétique. Mais au lieu des vestiges de la cité d’Arkaïm, ce sont sept cadavres, dont la peau du visage a été ôtée, qui sont exhumés. Sur place, Mortimer commence une difficile et discrète investigation, qui lui fait découvrir un morceau d’électrode dans le crâne d’un des corps. De son côté, Blake, en tant que représentant du MI 6, s’entretient avec ses homologues français et américains, au milieu du lac Léman, pour préparer l’opération Prince.

Huit heures à Berlin est le vingt-neuvième album de Blake et Mortimer. Les onze premiers ont été conçus, écrits et dessinés par Edgar P. Jacobs entre 1946 et 1972. Bob de Moor achève le douzième en 1990. Les seize volumes qui suivent, à partir de 1996, sont une reprise par la fine fleur des scénaristes et dessinateurs du moment, capables d’exécuter une ligne claire avec la même virtuosité que le créateur, et d’être fidèles à l’univers initial. Ces extensions ont rencontré un indéniable succès critique et commercial. José-Louis Bocquet (Joséphine Baker, Olympe de Gouges) et Jean-Luc Fromental (Le Coup de Prague, Une Romance anglaise) entraînent les deux compères sur un terrain qui leur était encore inconnu : le récit d’espionnage. Les scénaristes, nourris à John Le Carré, Ian Fleming ou Graham Greene, les placent sur l’échiquier le plus complexe et palpitant : la Guerre Froide, à Berlin, quelques mois après l’érection du « mur de la honte ». Subtilement, Olrik s’immisce entre les blocs opposés. L’histoire se déroule autour de deux axes classiques : le savant fou, incarné par Julius Kranz, et le conquérant du monde, le méchant récurrent de la série. La nouveauté de Huit heures à Berlin est aussi de contextualiser l’intrigue dans un épisode historique connu, avec des protagonistes ayant existé.

C’est une réussite. Blake et Mortimer agissent chacun de leur côté, suivent leur propre piste, mais les fils sont clairement identifiés et se rejoignent au bon moment. Les personnages sont parfaitement construits, les dialogues sont dosés et clairs, les péripéties s’enchainent sans temps morts. Les fameuses didascalies jacobsiennes sont bien présentes, donnant des précisions sur l’action qui se déroule, sur un modèle d’avion, une marque de cigarettes ou accentuant l’effet dramatique. Sans elles, ça ne serait pas du Blake et Mortimer.

Antoine Aubin, qui a déjà illustré La Malédiction des trente deniers (tome 2) et L’Onde Septimus, livre un travail irréprochable, tant dans sa valeur intrinsèque que dans le respect du canon esthétique qui s’impose à lui. Le sanatorium d’Arkaïm est glaçant, l’austérité de la capitale allemande est palpable et les rives du lac Léman sentent bon L’Affaire Tournesol. Là où il est, Edgar P. Jacobs peut pousser un soupir de soulagement à la lecture de cette escale berlinoise et être convaincu que son opéra de papier n’a pas fini de s’écrire. Les deux prochains opus sont en préparation. Rendez-vous est donné dans les Cornouailles.

Moyenne des chroniqueurs
7.0