Vague de froid

J ules et Martin, deux Liégeois, se rendent en Norvège où ils projettent de gravir le Preikestolen, un rocher dominant le Lysefjord. Le premier, étudiant en arts, doit profiter de la randonnée pour remplir un carnet de dessins. Il compte surtout tirer parti de l’occasion pour percer la carapace de son frère, un ambulancier. D’un naturel ténébreux, ce dernier s’est récemment séparé de sa compagne, Amandine, et a perdu de vue sa fille, Camille. Il est également en froid avec son père. Celui qui a l’habitude de porter secours a visiblement besoin d’aide. Son entourage s’inquiète pour lui ; brisé, il a trouvé refuge dans la mythologie nordique, un culte où les dieux se montrent près des hommes.

Après avoir collaboré à La Revue dessinée, Jean Cremers se lance dans un projet de longue haleine. Près de deux cent cinquante pages de quête spirituelle, de complicité fraternelle et de tensions. Le cadet, pourtant maigrichon et en apparence désœuvré, se révèle d’emblée plus solide que l’aîné, une force de la nature. Dans ce huis clos au cœur des grands espaces, les frictions sont parfois vives. Le géant jongle d’ailleurs constamment avec l’idée de fausser compagnie à son partenaire. L’abandon, sous toutes ses formes, est du reste la clef de voûte du récit.

Le déroulement adopte un rythme lent, celui du marcheur, celui de la réflexion et de la remise en question. Il est ponctué de quelques rencontres révélatrices (avec un berger misanthrope et une jeune mère) offrant autant de pistes permettant de comprendre le protagoniste et de deviner son drame.

Les interactions avec les bêtes apparaissent, pour leur part, significatives à la lumière de leur symbolisme dans la croyance scandinave. Le colosse croise tour à tour un mouton noir (la chèvre évoque la maternité), un corbeau (le gardien des âmes mortes), ainsi qu'un ours brun (roi des animaux), qu’il arrive à faire fuir avec l’aide de son frangin.

Le scénario est transposé en images à l’aide d’un trait simple, léger, mais efficace, rappelant par moments l’esthétique du manga. L’artiste s’illustre particulièrement lorsqu’il dessine la Nature ; ses représentations de la forêt, de la tempête et de la faune constituent certainement les plus belles cases de cet album. Dans les dernières planches, l’illustrateur présente les croquis de l’étudiant. Il se dégage une émotion certaine de ces crobars réalisés dans l’empressement.

Une intrigue intelligente, touchante et bien construite.

Moyenne des chroniqueurs
7.0