Ginette Kolinka Récit d'une rescapée d'Auschwitz-Birkenau

C omme l'affirme l'écrivain Imre Kertész, lui aussi victime de la déportation : "Auschwitz n'a pas été un accident de l'Histoire, et beaucoup de signes montrent que sa répétition est possible". Répéter pour ne pas oublier et pour avertir afin que cela ne puisse pas se reproduire est devenu le crédo et la motivation de nombreux rescapés des camps nazis. Ceci d'autant plus nécessaire que les témoins directs disparaissent et que le négationnisme gagne en vigueur...

Les témoignages ont commencé sous forme de livres, puis de documentaires. Les rapporteurs, soutenus par des associations, ont multiplié les conférences auprès des publics scolaires ou composé d'auditeurs désireux de mieux appréhender cet épisode accablant de l'Histoire. Depuis plusieurs années, le neuvième Art se fait lui aussi écho de ce devoir de mémoire, ce qui permet de toucher un public encore plus large Cet album est né de la rencontre de Ginette Kolinka et d'Aurore d'Hondt, en marge d'une intervention de la première à l'ISEN en avril 2019. Comme le mentionne Arnaud Boulligny (chercheur à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et chercheur associé au laboratoire HisTeMé de l’université de Caen Normandie) dans la préface, l'étudiante prend alors "une claque". De ce moment va naître l'envie de transposer le récit de Ginette au format graphique.

La même année, les éditions Grasset publient Retour à Birkenau, dans lequel la déportée écrit : « Comment avoir pu supporter tout ça, je m’en étonne moi-même. » Arrêtée par la Gestapo en mars 1944 à Avignon avec son père, son petit frère de douze ans et son neveu, Ginette Kolinka est transférée à Auschwitz-Birkenau : elle sera seule à en revenir, après des passages à Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt.

Le parcours de cette jeune femme - 19 ans à l'époque - a embrassé l'horreur de la folie génocidaire et dans ce que l'humanité peut faire de pire, comme l'évoquait en son temps Primo Levi. D'ailleurs, une amie de Ginette, Marceline Loridan-Ivens, présente dans le même convoi, a cette phrase d'une terrible justesse : "On ne revient jamais vraiment d'Auschwitz." À travers la vie de Mme Kolinka, c'est une partie de l'histoire qui est montrée, de son enfance française à la stigmatisation, de Drancy à l'après-Auschwitz, et ce qui l'a poussée à témoigner. La partie sur le quotidien du camp donne quantité de détails, afin d'illustrer le processus de déshumanisation mis en place en ce lieu. Les lecteurs les plus érudits pourront aussi faire le lien avec le film Simone, le voyage du siècle d'Olivier Dahan, sorti en 2022. Dans l'album, Aurore d'Hondt restitue la scène où Simone (Veil) offre une robe à Ginette. Ce cadeau a un rôle important pour ces femmes et deviendra un souvenir puissant pour elles. La protagoniste - et l'autrice - montrent comment un soupçon d'humanité pouvait sauver moralement des individus dans les camps. Afin d'être au plus proche du vécu, les deux femmes se sont rencontrées à de multiples reprises lors de la réalisation du roman graphique. Parler alors d'une transposition à quatre mains n'est sans doute pas abusif.

Le style d'Aurore d'Hondt vient prendre le contrepied de la tension et des horreurs vécues par Mme Kolinka. En effet, son style se rapproche de la version animée de Persepolis. Les personnages ont des "bouilles" rondes, ce qui leur donne chaleur et humanité, tandis que leurs grands yeux font passer différentes émotions. Dans ce one-shot est en noir et blanc, la dessinatrice joue avec les ombres dans les décors, mais également en fond de planche lorsque le récit entre dans sa phase la plus difficile. Ce parti-pris esthétique retenu pour ce premier roman graphique de l'autrice est intéressant puisqu'il amène délicatement les lecteurs à suivre le personnage principal durant des évènements qu'ils devinent pénibles.

Ginette Kolinka récit d'une rescapée d'Auschwtiz-Birkenau est un album d'une puissance impressionnante. Les choix graphiques permettent d'amener une légère "douceur" à un récit souvent fort en émotions. Accessible à un large public, ce livre peut, et doit, être lu par de jeunes lecteurs à partir du collège ainsi que par des lycéens (lorsqu'ils doivent travailler la notion de mémoire en spécialité géopolitique) et des étudiants, sans oublier leur ainés.

N'oublions jamais : “Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s'exposent à ce qu'elle recommence...” Elie Wiesel.

Moyenne des chroniqueurs
8.0