Un chant de Noël - Une histoire de fantômes

À l’heure où la joie envahit les rues de Londres et le cœur de ses habitants, Scrooge peste. Elle déteste Noël. Mais, une fois de plus, sa fichue nièce a cru bon de l’inviter à partager un repas dispendieux et son commis lui a demandé son congé pour fêter cela en famille. Tout ce que voit Elizabeth, là-dedans, ce sont les dépenses somptuaires. Elle, elle a mieux à faire : du profit. Pourtant, cette nuit singulière de 1843, une valse d’ectoplasmes va l’entrainer dans les profondeurs de ses souvenirs et lui dévoiler d’autres possibles. L’intéressée en sortira-t-elle transformée ?

Ah, le vieux grigou de Scrooge ! Qui ne le connaît pas ? Modèle des radins insensibles de tout poil depuis la publication du roman de Charles Dickens, il peuple de nombreuses adaptations, au cinéma (dès 1901 !), à la télévision, à l’opéra, au théâtre ou encore en bande dessinée – à commencer par un certain Picsou. Il fait peur, inquiète et invite, par sa mésaventure aboutissant en illumination, à se rappeler que la chaleur d’un foyer et d’un entourage aimant vaut bien davantage que l’exploitation pécuniaire aveugle et froide.

Dans la variation signée par José Luis Munuera (Bartleby le scribe, Les cœurs de ferraille, Zorglub), avec Sedyas aux couleurs, le cœur de pierre à la sinistre figure troque la redingote pour les jupons, Ebenezer devenant Elizabeth, l’homme vieillissant se métamorphosant en femme aussi belle qu’altière. Si la trame reste la même et que les voyages avec les esprits des Noëls passés, présent et à venir se déroulent globalement selon l’histoire d’origine, le ton est plus mordant. Fière de son parcours, assumant entièrement son inflexibilité, la principale protagoniste s’en laisse moins conter que son alter-ego mâle. Dans ses échanges avec ses proches comme avec les fantômes, elle se montre piquante et souligne les difficultés pour une dame d’évoluer dans un milieu exclusivement masculin. Elle sait également admettre ses propres failles. Même le dénouement, quoique positif, n'aboutit pas à un happy end sirupeux, mais plutôt à un entre-deux.

La mise en image se révèle réussie. La Srooge de Munuera possède de la prestance et de la présence. Son regard gris est vif, son expression revêche, au rebours des mines réjouis des autres personnages. Son coup de crayon peint de façon convaincante les artères, toits et façades de la capitale britannique en proie à l’hiver. La partition graphique est rehaussée par des teintes souvent gris-vert, bleues ou brunes, les pointes plus colorées étant réservées aux spectres et à une scène de bal. Enfin, l’album lui-même a fait l’objet d’un soin particulier des éditions Dargaud.

Conte indémodable, Un chant de Noël prend une tournure plus moderne et cela fait plaisir. S’il n’a pas été glissé au pied du sapin, il est temps de se pencher dessus.

Moyenne des chroniqueurs
7.0