Le petit monde (Morvan/Terada) 1. Vamos, vamos !
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ne nouvelle mode fait fureur parmi les enfants des classes privilégiées de la métropole. Son nom : le Petit Monde. Ce programme informatique permet aux bambins de se payer, le temps d’une nuit, une visite virtuelle des bas-fonds de leur cité. Leur guide, Piedra, est un authentique gamin issu des bidonvilles de ce Petit Monde.
La jeune Kumiko et ses frères ne s’attendaient pas vraiment à rencontrer le garçon « In Real Life ». C’est pourtant dans cette famille de la Ville Haute, dans leur garage précisément, qu’il échouera, fuyant Gaucho et sa bande de désaxés.
Le Petit Monde est une première à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord du premier album de Toru Terada (à ne pas confondre avec Katsuya Terada). Assistant de plusieurs mangaka, il réalise ici un album d’une grande énergie et, malgré quelques détails caractéristiques, on est loin, très loin du manga "à la française" (s'il a jamais existé ailleurs que dans certaines volontés éditoriales). Terada possède un style qui se démarque nettement de la production européenne – de fait – mais également de la production japonaise. Où un mangaka confirmé aurait eu plus de mal à mettre de côtés ses son expérience et tics graphiques, Terada laisse exploser le carcan naturel de sa culture. Le résultat donne une œuvre métissée, riche de ce que nos deux cultures possèdent de meilleur à offrir.
Cette hybridité se retrouve également dans l’univers quotidien du Petit Monde. Ses voitures sont anglaises, son centre-ville d’inspiration haussmannienne, ses voyous échappés des banlieues apocalyptiques d’Otomo, ses nurses-droïdes aussi émotives que les Tachikomas de Ghost In The Shell, ses bidonvilles brésiliens, sa violence fantasmée à la japonaise et sa trame rend clairement un hommage à Peter Pan, héros créé par l’anglais James M. Barrie. La ruse du scénario ne permet pas d’identifier immédiatement l’emprunt au mythe de la littérature fantastique. Morvan donne à son univers suffisamment de personnalité pour le rendre autonome, et ce n’est qu’après lecture que la référence devient évidente. Jamais elle ne vient parasiter la découverte de cet album haut en couleurs.
Le ton oscille entre une douceur des formes et des ambiances et l’irruption d’une violence très explicite. Les grands yeux humides et les gueules d’anges n’y changent rien, quand un combat s’engage à l’arme à feu, il n’est pas surprenant de voir les crânes éclater et le sang couler à flot. Morvan et Terada tracent les contours d’un Peter Pan plus inquiétant que le héros de Disney, et restituent à l’œuvre originale une part de sa dimension dramatique. On découvre alors en Piedra un jeune voyou mu par l’énergie du désespoir, shooté aux hallucinogènes, sur le point de partager avec ses Kumiko et ses frères la dose qui leur révèlera l'autre côté du miroir.
Le Petit Monde cache sous une couverture énigmatique un univers riche, différent et à la fois très familier. Il donne à Cosmo, le jeune label de Dargaud, les moyens de ses ambitions : devenir le carrefour des cultures américaines, asiatiques et européennes.
6.6