Simenon - Le Roman d'une vie

D ans un modeste appartement, au cœur d’un quartier populaire de Liège, un père demande à son fils ce qu’il voudrait être plus tard. Militaire ? Pourquoi pas. Prêtre ? Non, car ils vivent seuls, sans femmes. Peut-être écrire des livres, lui qui en lit tant : Les trois mousquetaires, David Copperfield, Le Mystère de la chambre jaune, et bien d’autres. Georges imagine enlever Milady ou arpenter les routes anglaises. Monsieur Simenon se contente de sa vie simple d’employé en assurances, retrouvant fauteuil et journal le soir. Son épouse, issue d’une famille bourgeoise déclassée, rêve d’une meilleure condition. Elle élève ses deux fils dans l’obsession de l’argent et la crainte du syndicalisme et de l’anarchie. Georges aime la liturgie mais ne s’embarrasse guère de la foi. La perte de son pucelage, dans la campagne liégeoise, à l’initiative d’une jeune effrontée rousse, annihile le projet maternel de le faire entrer dans les ordres. Il n’en fait qu’à sa tête : il deviendra écrivain. Pour ce faire, il imite Rouletabille : être d’abord reporter. Âgé de seize ans, il entre à La Gazette de Liège, journal catholique et traditionnaliste, au sein duquel il se fait rapidement remarquer.

S’attaquer à la biographie de Georges Simenon (1903-1989) est ambitieux et audacieux. En effet, le parcours de l’homme ne se résume pas à une silhouette penchée sur une machine à écrire. Il a voyagé, s’est maintes fois remis en question, a multiplié les conquêtes féminines, a été une star. Il fut opportuniste et s’est vendu au plus offrant. Il s’est construit une destinée à coup de mots, de phrases et de livres. C’est ce défi que Rodolphe (Les Écluses du ciel, Kenya) et Christian Maucler (Les Enquêtes du commissaire Raffini) ont décidé de relever, le limitant cependant à la période allant de l’enfance au bal anthropométrique du 20 février 1931. L’itinéraire de l’auteur prolifique y est retracé de Liège à Paris, de la rubrique « Le saviez-vous? » aux nouvelles coquines, puis aux romans « à-quatre-sous », jusqu’aux premiers Maigret. Le fil est suivi, du pisse-copie au romancier, même s’il manque des paramètres fondamentaux, tels que sa relation exécrable avec sa mère, la gêne de n’être pas né du bon côté de la Meuse, dans la ville wallonne, ou la connaissance des petites gens, dont il alimentera son œuvre littéraire.

De ce fait, le rythme de la narration est parfois trop alerte, glisse rapidement sur des épisodes qui permettraient de comprendre l’homme et ses écrits en profondeur, juxtapose artificiellement des situations, que le néophyte aura des difficultés à relier. Le dessin de Maucler, dans une veine réaliste et sobre, soutient le récit, restant néanmoins trop en retrait, n’accrochant pas le regard. Davantage d’audace n’aurait pas été hors sujet. Ponctuellement, le dessinateur est en difficulté sur certaines proportions ou perspectives, ce qui demeure fâcheux. Simenon, le roman d’une vie ne tient pas toutes ses promesses. L’album est à l’image de sa couverture, qui met en exergue un des épisodes les plus caricaturaux de sa carrière (l’écriture d’un roman en public et enfermé dans une cage de verre). Il constitue une bonne entrée en matière, mais la véritable mise en image de l’histoire de cet artiste hors norme reste à écrire.

Moyenne des chroniqueurs
5.0