Lucky Luke (Les aventures de) 10. L'arche de Rantanplan

A lors que le cow-boy solitaire arrive à Cattle Gulch, rêvant d’un bon steak, il tombe sur le lynchage d’Ovide Byrde, coupable d’avoir détaché et rendu sa liberté à un cheval, crime on ne peut plus intolérable dans cette bourgade texane. Le criminel est un original, président (et unique membre) de la société protectrice des bêtes du comté. Ancien marchand de barbecue, après avoir assisté à une conférence de Henry Bergh, fondateur, en 1866, de la première association américaine contre la cruauté envers les animaux, il change d’alimentation et de vie. Reconnaissant envers Lucky Luke, qui l’a tiré de cette mauvaise situation, il l’invite dans sa ferme. Le héros y retrouve Rantanplan, repêché dans un puits, trois semaines plus tôt. Pendant une conversation entre les deux hommes, à propos de régime végétarien et autres soins à prodiguer, le chien le plus bête de l’Ouest rapporte, de la mine voisine, une énorme pépite d’or. Alors que la fortune de Byrde est faite, Lucky Luke propose de ramener le canidé idiot à la prison de Kolb Cross, dont il s’est imprudemment éloigné. Mais le vacher y parle un peu trop du subit enrichissement de Byrde, ses paroles tombant dans l’oreille de Tacos, escroc notoire, qui n’a plus que quatre jours à tirer.

Avec L’Arche de Rantanplan, Achdé (dessin) signe son dixième album des Aventures de Lucky Luke ; il s’agit, par ailleurs, du quatrième scénario de Jul pour la saga créée par Morris en 1946. Le jaune de la couverture rappelle celui d’À l’ombre des derricks (1962), de La Diligence (1968) et de Dalton City (1969). L'ambition d’être à la hauteur des grandes heures de la série est affichée. Pêle-mêle, se croisent les Daltons, les immigrés chinois, le croque-mort, le pénitencier, une guerre indienne, le goudron et les plumes, ainsi que les récriminations de Jolly Jumper. Et, bien sûr, Rantanplan, foncièrement crétin et diablement attachant, toujours en décalage, à l’aura telle, qu’il a bénéficié de sa propre collection (vingt albums au garrot). Mais au-delà de ces éléments, qu’il n’est pas difficile de convoquer, c’est bien la verve et l’esprit du récit qui lorgnent sur la période référentielle – au hasard – de Goscinny. Le jeu de mot en embuscade, les trognes patibulaires ou débonnaires, les rebondissements, la cohésion de l’écriture, les clins d’œil et allusions, tout y est pour un moment de lecture plaisir, assorti d’un brin de nostalgie, même si l’ensemble peut manquer de fluidité.

Néanmoins, une thématique se développe également, à la fois historique et actuelle. Après les Juifs et l’antisémitisme (La Terre promise) et l’esclavage (Un Cow-boy dans le coton), c’est au tour de la condition animale d’être sous le feu des projecteurs. Le Far-West n’a guère été exemplaire sur ce sujet et ce n’est pas le 21è siècle qui pourrait lui donner des leçons. Derrière la dénonciation, se trouve cependant la question du progrès à marche forcée, d’une brutalité qui en remplace une autre, de la bonne cause qui devient elle-même oppression. Militantisme joyeux, humour engagé, poil à gratter réversible, L’Arche de Rantanplan est tout cela à la fois, peignant de tristes individus agissant « comme si, face à une nature sauvage, les hommes avaient dû se montrer encore plus sauvages ». À méditer.

Moyenne des chroniqueurs
7.0