Les tuniques Bleues 66. Irish Melody

17 mars 1862 à Alexandria, en Virginie : c’est le jour de la Saint-Patrick. Le sergent Chesterfield est à nouveau à la recherche du caporal Blutch, champion de la désertion. Leur régiment doit embarquer afin de rejoindre de nouvelles positions. Son chemin croisant une course de steeple chase, le cavalier se retrouve en fâcheuse posture, contemplant la panse des chevaux qui lui passent au-dessus de la tête. Les organisateurs de la compétition appartiennent à la brigade irlandaise, réputée pour son sens de la témérité et son jusqu’au-boutisme. Le capitaine Dougherty croit reconnaître en Chesterfield un cousin. Après avoir mis la main sur le fuyant Blutch, Chesterfield se fait inviter à la soirée donnée en l’honneur de la fête nationale de l’Irlande. La rencontre avec le convaincant général Meagher, la dégustation excessive de bière brune, l’énergie des danses et les accents poignants de Fields of Athenry, chanson traditionnelle relatant la grande famine, ont tôt fait d’émouvoir le sous-officier. Dès le lendemain, il s’engage auprès des natifs de la Verte Erin pour combattre le Sud à leurs côtés. Se remettant difficilement d’une cuite carabinée, Blutch lui emboîte le pas.

La saga Les Tuniques bleues est née en 1968 dans Spirou, écrite par Raoul Cauvin (1938-2021) et dessinée par Louis Salvérius (1933-1972). Depuis le cinquième album, Les Déserteurs, c’est Willy Lambil qui tient les pinceaux. Kris (Notre Mère la Guerre, Notre Amérique) est choisi pour succéder au créateur et signe avec Irish Melody sa première contribution aux aventures des deux Yankees. Les soixante-cinq premiers albums ont posé un univers, des personnages, un contexte et un ton, largement respectés par cette ballade irlandaise. L’humour, délibérément accessible, voire potache, accompagne des pérégrinations, s’appuyant, avec une fidélité variable, sur les événements de la Guerre de Sécession, qui ne dura que quatre ans. Mais au-delà de l’attitude débonnaire des héros, c’est toujours leur étrangeté aux hostilités qui ressort, par la détermination de Blutch à ne pas y prendre part, à sauver sa peau, ou par une participation passive et soumise de Chesterfield, qui se contente d’exécuter simplement les ordres, de peur de véritablement comprendre ce qui se passe. En d’autres termes, c’est une dénonciation constante et subtile d’un conflit armé et du traitement réservé aux hommes qui s’y trouvent engagés.

Le récit d’Irish Melody utilise une succession de méprises pour mettre en scène ce que redoutent la plupart des états-majors, à savoir une tentative de pactiser. Le thème n’est pas nouveau mais il mérite d’être constamment interrogé. Les querelles inlassables des deux compagnons râleurs s’estompent au profit d’une réflexion et d’une émotion, d’une mise en perspective de ce qu’est l’individu dans une situation extrême, quand il s’agit de tirer sur un de ses congénères pour une raison qui échappe au moment d’appuyer sur la gâchette. Tant que la fraternisation restera un concept plus qu’une réalité, des séries telles que Les Tuniques bleues auront leur légitimité.

Moyenne des chroniqueurs
7.0