Matteo Ricci - Dans la Cité interdite

P ékin, 1601. La vie est organisée autour de la bien-nommée Cité interdite, abritant le Fils du Ciel, sa famille, sa cour, ses concubines et ses eunuques. Un espace extrait de la contingence et de la vulgarité du monde. Ma T’ang est collecteur de taxes et exerce, à ce titre, une certaine influence dans les sphères du pouvoir. Il apprend que les Mandarins ont accueilli un certain Matteo Ricci, jésuite italien qui parcourt la Chine depuis dix-huit années. Fin lettré, scientifique polyvalent, curieux des civilisations et de leurs cultes, son ouverture d’esprit l'a conduit aux portes des milieux intellectuels. Il est accompagné du frère Fernandez et du missionnaire Diego Pantoja. Son rêve est de rencontrer l'Empereur. Mais l’entreprise exige des dons, de la patience, beaucoup de diplomatie et une bonne dose de ruse. Ma T’ang vient examiner ses cadeaux, se fâche à la vue d’un crucifix, image de torture et de douleur, et emporte tous les présents, laissant derrière lui une vague promesse. Simultanément, il croise Don Herrera envoyé par la Sainte Inquisition, qui lui tient les propos agressifs de l’évangélisation brutale. Lorsque Mattéo Ricci, rebaptisé Li Matou, réside avec ses compagnons au Palais des Barbares, où séjournent celles et ceux qui attendent une décision du monarque, il recueille Lin Yu, jeune femme promise comme cadeau au souverain. Il va s’agir de la sauver sans se compromettre.

Après Vincent, un saint au temps des mousquetaires (2016) et Foucauld, une tentation dans le désert (2019) ,le duo composé de Jean Dufaux (La Complainte des landes perdues, Murena, Djinn ou Barracuda) et Martin Jamar (Les Voleurs d’Empires, Double Masque) se penche sur l’itinéraire de Matteo Ricci, prêtre voyageur qui partit à la rencontre de l’Orient, s’attardant et finissant son existence en Chine, vaste territoire fermé sur lui-même, estimant ne pas avoir besoin des idées venues d’ailleurs. Tiraillé entre le Confucianisme et le Bouddhisme, son culte manque pourtant de cohérence, faille dans laquelle s’engouffre le religieux occidental pour présenter les beautés liturgiques chrétiennes et convertir quelques individus. Sa méthode consiste à connaître la langue, la culture et les mœurs de ses hôtes et de tâcher de les convaincre par la douceur. Il devient ainsi un passeur de connaissances. Sa maîtrise de l’horlogerie l’introduit au palais impérial, son savoir géographique séduit les influents Mandarins, sa tolérance lui assure les meilleurs appuis.

Le graphisme de Martin Jamar est réaliste et précis. L’artiste prend plaisir à reconstituer l’architecture chinoise du 17è siècle naissant, ainsi que les objets, le mobilier ou les tenues vestimentaires. Ses vues urbaines sont particulièrement immersives. Entre palanquins, porte-faix, mendiants et statues de dragons, le lecteur déambule dans le passé, en un autre espace, où s’entrechoquent positions médiévales et ouvertures modernes. Même s’il frôle constamment l’apologie, Matteo Ricci a le mérite de ressusciter une figure méconnue et de mettre en scène des confrontations idéologiques et cultuelles, qui sont toujours d’actualité.

Moyenne des chroniqueurs
7.0