Les 7 Vies de l'Épervier 14. Le Fils d'Ariane

U ne nuit de décembre 1642, un étrange personnage, accompagné d’un bouc et de deux oiseaux nocturnes, déambule dans les rues parisiennes. Devant un jeune comédien, il exhibe un masque rouge et lui déclare être l’artisan de son destin. Le cardinal Richelieu vient de mourir, peut-être aidé par son ambitieux successeur, un certain Mazarin. Gabriel de Troïl se met à nouveau au service de Louis XIII. Ariane, de son côté, poursuit sa quête familiale. Après avoir retrouvé sa fille Ninon, elle s’enquiert de son fils, dont le roi serait le géniteur. Pendant qu’elle se rapproche de son ancien amant, Beau, son mari, suit sa propre piste. Un écheveau inextricable d’intrigues d’Etat, de secrets de familles, de liaisons illégitimes et d’ambitions personnelles émerge au fil des pages et fait revivre un XVIIè siècle foisonnant et fascinant.

Faisant suite directement à … Qu’est-ce que ce monde ? paru en mai 2021, Le Fils d’Ariane se concentre sur la recherche du garçon perdu, tout en faisant apparaître un personnage à l’allure inquiétante et au discours de démiurge. Son importance lui vaut d’orner la couverture. Comme pour les tomes précédents, Patrick Cothias entremêle des personnages historiques, dont certains aspects de leur existence demeurent dans l’ombre, et les figures fictives qui alimentent la saga des 7 vies de l’épervier depuis quarante ans. Ninon de Lenclos était au cœur de l’album précédent ; c’est à nouveau une personnalité du monde des Lettres qui est ici l’objet de toutes les attentions. Le scénariste adopte une poétique de l’intrigue : peu d’action mais des échanges plus ou moins hermétiques entre les personnages, dialogues d’alcôves, confessions de boudoirs, révélations se mêlant à des menaces. Le passé est maintes fois revisité, tant son écriture a été manipulée, tant les souvenirs ont été orientés, les mensonges se mêlant sans cesse à la vérité.

C’est une bande dessinée littéraire, dans laquelle les mots ont autant d’importance que les images. Il est d’ailleurs regrettable que le dialoguiste se laisse aller à quelques anachronismes malvenus : les termes « gigolo » (p.24) ou « télépathique » (p.25) surgissant au milieu de dialogues se référant à la langue travaillée, voire précieuse du Grand Siècle, heurte l’esprit. Il en est de même de l’allusion à une pilule qui pourrait réduire le phénomène de bâtardise. Soit le procédé est mis en place avec davantage de récurrences à des fins comiques (ça n’est pas ici le propos) soit une vigilance s’impose de ne pas provoquer de tels paradoxes qui nuisent à l’immersion, après laquelle court le genre historique.

Milan Jovanovic, quant à lui, connaît par cœur les tables de la loi d’André Juillard. L’illustrateur ne sera pas pris en défaut, tant sur la mise en œuvre de la ligne claire, que sur la colorisation. Le parti-pris réaliste du créateur de la série est pleinement respecté, même si Jovanovic n’atteint pas son excellence. Si on excepte une complexité de l’intrigue qui demande une réelle concentration et quelques maladresses dans des références à l’époque contemporaine, Le Fils d’Ariane (là encore un jeu de mots malvenu) contentera les amateurs de cette épopée.

Moyenne des chroniqueurs
6.0