Toutes les morts de Laila Starr

« Mort, j’ai bien peur qu’on doive se séparer de toi.
Pardon ?!
Attends, ça n’a rien de personnel ! Nous restructurons tout le service. »
Après une éternité de bons et loyaux services, la Mort, déesse à six bras, est congédiée par son patron, un vieillard tricéphale. La cadre dynamique adepte du tailleur n’a pas l’intention de se laisser faire. Pour sauver son taf, elle projette de tuer Darius. Pour le moment, c’est un bébé, mais dans quelques décennies, il inventera l’immortalité. Comme cadeau de départ, ses supérieurs lui offrent une enveloppe humaine afin qu’elle découvre les plaisirs de la vie des mortels. Elle s’incarne dans le corps de Laïla Starr, une jeune femme décédée dans un hôpital de Bombay, là où naît justement le gamin. Le destin est cependant facétieux.

Dans Toutes les morts de Laïla Starr, Ram V présente une étonnante allégorie sur le monde du travail, transposé dans celui des divinités. Avec beaucoup d’efficacité, l’auteur situe en quelques pages les enjeux de cet univers singulier, avant de précipiter son héroïne au cœur de l’action. Loin des dieux près du cœur, elle développe peu à peu son humanité, se montre moins intransigeante, déterminée et catégorique. Et surtout, plus vulnérable. Le sujet pourrait s’avérer lourd, en fait il l’est un peu ; le scénariste déploie toutefois une forme de douceur sur laquelle il saupoudre des notes d’humour. Au final, le lecteur croit en la rédemption de la protagoniste, laquelle se révèle attachante.

Filipe Andrede propose un dessin relâché, proche de l’esquisse, sur lequel il dépose une généreuse couche de couleurs vives, voire criardes, qui piquent les rétines, sans pour cela être désagréables. Il y a quelque chose d’expressionniste dans ses corps élancés et ses visages émaciés d’où se dégagent tristesse et douleur. L’artiste privilégie des cases très larges, bon nombre de ses planches sont d’ailleurs composées de cinq ou six vignettes occupant toute la largeur de la page, les personnages, souvent dépeints au centre, apparaissent alors isolés au milieu d’un décor généralement dépouillé.

Une intéressante réflexion sur la vie et la mort, le Bien et le Mal, sans oublier une critique acerbe de la société néolibérale et sa propension à trancher les têtes.

Moyenne des chroniqueurs
7.0