D'eau et de boue

M yers offre sa tournée ce soir. Il fête son héritage récent : le bar de son paternel, un endroit bien apprécié sur les bords du Mississippi ; certainement une manière de mieux faire digérer son suicide. Par contre, il se serait bien passé des mêmes crises d'angoisse qui le terrassent en période de stress. Le truc pour les apaiser : baigner ses pieds dans la boue fraiche. Si les clients et amis ont apprécié l'alcool gratuit, ils ont aussi vidé le stock de bouteilles. Alors qu'il cherche un nouveau fournisseur, sa mère réapparait, après vingt ans d'absence. Il apprend à cette occasion qu'il a une demi-sœur et décide alors de se rendre dans la communauté de son beau-père, chef d'un groupe adepte d'un culte singulier…

Adam Smith a écrit ce scénario en hommage à son père, décédé d'une maladie dégénérative. Ce roman graphique
montre un univers qui devient, petit à petit, noir et angoissant ; l'intrigue prend vite aux tripes par les ambiances froides et bleutées, superbement choisies. La folie n’est pas loin, elle est même palpable. L'Amérique profonde se découvre, détraquée, percluse de traditions et d'un folklore dépassés mais toujours présents : un bar clandestin avec ses gars dégrossis à la hache, des flics corrompus et des évangélistes charismatiques qui dirigent des moutons égarés. Il règne un certain malaise, tendu et pesant qui s'épaissit au fur et à mesure. Au final, l'ouvrage brosse un portrait terrifiant d'une association de fanatiques qui, sous prétexte de culte religieux, s'autorise la transgression des lois humaines sans sourciller, une congrégation autarcique peuplée d'âmes en souffrance et perdant totalement pied avec la réalité. Cependant, l'habilité de l'auteur consiste à faire douter des intentions des manipulateurs. Le résultat est intrigant et assez déstabilisant dans le sens où le scénariste mène le lecteur dans une direction impossible à prévoir, jusqu'au dénouement qui reste flou. À chacun d'y voir ce qu'il veut.

Ne vous laissez pas refroidir par la couverture de qualité moyenne car l'intérieur est d'un tout autre acabit. Matthew Fox possède un style semi-caricatural. L'expressivité et la sensibilité qui se dégagent sont indéniables et jouent un grand rôle dans le ressenti du lecteur pour les personnages, permettant souvent de se passer de mots. L’ambiance du récit est réellement portée par ce dessin envoûtant.

Après une première collaboration sélectionnée aux Eisner Awards et aux Harvey award (Long walk to Valhalla), le duo d'auteurs propose D'eau et de boue, une œuvre puissante, sorte de thriller contemporain au contenu sombre qui aborde les dérives sectaires avec un réalisme qui fait froid dans le dos.

Moyenne des chroniqueurs
6.0