La princesse du château sans fin 1. La princesse du château sans fin

D ans un japon médiéval, le seigneur Oda Nobunaga règne en maître sur un royaume puissant. Cependant, son plus fidèle vassal, Akechi Mitsuhide se rebelle. S’engage alors un duel dont l’issue est incertaine. Deux potentialités surgissent : le vainqueur sera-t-il l’inféodé ou l’empereur ? Aussitôt, la citadelle accompagne ces alternatives en se divisant. Une tour pour accueillir le coup d’état d’une populace révoltée ; une autre où le Shogun a dominé son sujet. Des avenirs qui invitent encore à de multiples éventualités, à des aspirations de vengeances et à des recompositions architecturales déconcertantes !

Shintarô Kago a développé l’histoire de La princesse du château sans fin pour l’éditeur transalpin Hollow Press. En conséquence, l’ouvrage présente un sens de lecture occidental. Le dessinateur a également opté pour des grandes planches aérées, permettant la fabrication d’un beau volume en grand format offrant une expérience confortable. Et justement, qualifier cette découverte d’ « expérience » n’est pas un vain mot ! En effet, Shintarô Kago est un tenant du mouvement underground de l’archipel nippon. Parmi ses dadas, l’auteur prend plaisir à explorer un genre déstabilisant qui allie l’érotisme au macabre (ero guro nansensu en japonais dans le texte). Imaginez un peu. En l’espèce, il paraît même que l’artiste édulcore ses lubies afin de permettre aux néophytes européens (comme votre humble serviteur) de poser un pied au sein d’un univers seulement « légèrement dérangeant ». Qu’il en soit remercié !

La princesse du château sans fin n’est donc pas que monstruosités et sublimes geishas, loin s’en faut. Un peu à l’instar du remarquable Le Transperceneige, une vengeance naissante entraîne un groupe à franchir les étapes qui séparent le bas peuple des nantis. Une ascension à travers les étages et non une progression latérale au gré des wagons. Toutefois, dans cette version asiatique, l’aspect surnaturel prédomine. Le titre est alors porté par un climat fantastico-médiéval plutôt bien senti. Les éventualités font naître des chemins au sein de la forteresse. Les règles de la physique ne sont pas entièrement dévoyées et le scénario en tire même diverses contraintes qui réorientent habilement le récit. En outre, le passé du pays du soleil levant est convoqué ainsi que certaines pratiques de tortures et certains principes de répartition des classes sociales. Le livre s’épaissit et devient un conglomérat d’inattendus qui minimise cependant la psychologie des personnages. Les hypothèses conduisent à un flot ininterrompu de restructuration de la demeure du monarque jusqu’à un paroxysme soudain et désarçonnant. Le but est atteint !

Cet album bénéficie de surcroît d’une mise en images qui offre une assise solide au concept. Lorsque le palais se scinde, une large gouttière verticale apparaît. Elle fend alors les pages en une paire de colonnes. Presque chaque planche contient ainsi le reflet d’un autre monde. La lecture peut en devenir lourde, voire rébarbative. En revanche, elle n’en demeure pas moins insolite et attirante. Parfois, les cloisons sont attirées par le bord du feuillet au point de disparaître en partie dans la reliure ou être, à l’inverse, tranchée par le massicot. Faites-vous votre avis, mais il semble que cela soit un choix délibéré de l’auteur qui entend casser la sensation de répétition.

Quant au trait le mangaka manie la plume avec finesse. L’équilibre des masses repose principalement sur un jeu de hachures et d’aplats. L’illustrateur pose, à de rares occasions, quelques niveaux de gris dispensables. Il verse avec davantage de réussite dans un jeu de trames. Régulièrement, il s’affranchit de modeler les visages de ses protagonistes. L’action prend alors le pas sur le propos pour un résultat pas toujours concluant. In fine, c’est surtout dans la déformation des bâtisses et des corps que l’artiste étonne. Et, en ce qui concerne les séquences érotiques, elles sont réduites à la portion congrue. Néanmoins, ces représentations pourraient aisément être caractérisées de « crues ».

En somme, La princesse du château sans fin est une œuvre atypique où le médium répond au récit. La bande dessinée est à réserver à un public averti et adepte de sensations fortes. Enfin, une suite – Les douze sœurs du château sans fin - a déjà été publiée par la maison italienne. Elle devrait paraître prochainement chez Huber éditions qui prépare déjà un financement participatif. Tenez-vous prêts !

Moyenne des chroniqueurs
7.0