Mister Mammoth 1. Tome 1/2

À la fin de l’été de l’année 1970, à New-York dans un bar miteux, un soap existentiel tourne en boucle sur un poste de télévision. Dehors, un colosse défend son programme discutable face à une quinzaine d’hommes exaspérés de n’avoir pu observer la seconde période des prolongations de la rencontre sportive du soir. Le lendemain, Mister Mammoth a le visage esquinté. Peu importe, c’est le lot de tous les privés. Aujourd’hui, William Corona lui propose une affaire. Un maître chanteur tente de lui soutirer le fruit d’une vie de travail. Un classique. Cependant, à cinq mille dollars par jour, difficile de refuser l’enquête.

Avec Mister Mammoth, la structure éditoriale Futuropolis présente une association de talent inédite et transatlantique. D’un côté, Matt Kindt endosse la tenue de scénariste de roman de gare, de l’autre Jean-Denis Pendanx dépeint les investigations en respectant les codes du genre (clopes, chapeaux fédora et trench-coat).

L’écrivain installe son histoire au début des seventies. Le taux de criminalité a explosé alors que Wall Street connaît des années de vaches maigres, dont le paroxysme sera atteint trois ans plus tard avec le choc pétrolier d’octobre 1973. Le climat est idéal pour tenter d’extorquer un industriel. Ensuite, l’Américain adopte un personnage principal hors norme. Indiscutablement taillé comme un animal, Mister Mammoth est affublé d’une carrure démesurée, d’une mâchoire avancée, d’arcades sourcilières prononcées, d’un regard glacial et de lèvres quasi-inexistantes. Pourtant, l’homme est plus sensible que son physique ne le laisse présager. Et cette affaire, d’apparence assez banale, le remue et ravive des secrets d’enfance profondément enfouis. Mais pourquoi ces réminiscences surgissent-elles précisément maintenant ? Est-il à un tournant de sa vie ? Est-ce une saison de l’année couramment douloureuse ? Quant à la telenovela dont il s’est entiché, que peut-elle bien représenter pour ce titan ?

L’auteur ne dévoile pas les clefs du mal qui semble ronger son détective. Il distille pourtant de nombreux strips de respiration affectant le rythme du récit. La lecture est fluide (trop) et agréable (jamais trop). Elle est également tout en contournement, éludant de plonger franchement dans le passé trouble de l’anti-héros. D’habitude, Matt Kindt utilise habilement le format comics afin de développer plusieurs trames narratives. Dans l’amoncellement des séquences, il parvient à entretenir la curiosité de son lectorat et ses productions passionnent en conséquence. De fait, ce polar aux atours de franco-belge devient à cet égard un défi de concision. Et cet exercice de style manque pour l’instant de matière et/ou d’enjeu. La suite est ainsi très attendue et suscite déjà une nouvelle interrogation. Ne fallait-il pas simplement éditer un livre auto-conclusif ramassé, plutôt qu’un diptyque ?

La partition graphique relève donc des pinceaux de Jean-Denis Pendanx (Abdallahi, Svoboda, A Fake Story). Son style, parfois qualifié de réalisme poétique, s’accorde parfaitement au canon du policier poisseux. L’artiste fait merveille dans la restitution des ambiances, que ce soit la chaleur étouffante de The Big Apple ou bien les pluies chaudes de l’été. Sa maîtrise picturale flatte la rétine et accompagne la narration en insistant sur les atmosphères feutrées. Le rendu bénéficie d’un grain traditionnel, moins tape-à-l’œil qu’une colorisation assistée par ordinateur. Les planches possèdent un côté « artisanal », à la fois suspendu et délicat. Une merveille ! Réservé à la première édition, un cahier de huit pages expose l’élaboration des personnages sans évoquer les arcanes du projet. Un petit rédactionnel aurait été souhaitable et aurait pu aborder la genèse de cette entreprise. Au moins, les crayonnés démontrent au besoin que le génie du dessinateur ne se résume pas au romantisme de sa peinture.

En somme, la prometteuse collaboration garde encore une grande part de mystère. La mise en bouche est certes attrayante, mais le plat de résistance se fait attendre au point que le lecteur reste légèrement sur sa faim !

Moyenne des chroniqueurs
6.7