Cauchemars ex machina

Q uelques minutes après 8 heures, le 22 septembre 1991, Corneille Richelin, écrivain oublié ayant publié plusieurs ouvrages dans les années 1930, est retrouvé mort dans sa chambre. Une hache plantée au milieu du front. La porte était verrouillée de l’intérieur, personne n’en est sorti : la gouvernante est formelle. Son patron ne voulait pas être dérangé… jusqu’à ce qu’un cri terrible se fasse entendre.

C’est sur cet évènement mystérieux que s’ouvre l’album. Il s’agit d’un meurtre et l’identité du coupable est révélée dès les premières pages. La question n’est pas tant de savoir qui l’a commis, mais comment et pourquoi. Toute l’histoire est alors un immense flashback, à partir de 1938 où, par une nuit d’automne, un diner réunit plusieurs auteur-e-s de romans à suspense à l’initiative du baron Von Richtenback. Mettant en scène deux personnages réels, en l'occurrence Margery Allingham et Cameron McCabe, l’intrigue se déploie sur fond de Seconde Guerre mondiale. Pour les services secrets britanniques, stopper le développement de l’arme nucléaire par les nazis devient un enjeu stratégique majeur. L’auteur français Corneille Richelin (fictif, lui), caractérisé par une certaine instabilité et dépendant de ses cauchemars pour trouver l’inspiration, est lié d’amitié avec une personnalité influente du IIIème Reich. Il devient dès lors la cible parfaite d’une vaste manipulation à distance.

Il est difficile de véritablement attribuer un genre au récit proposé par Thierry Smolderen (Gipsy, Ghost Money, L’été Diabolik). Avec deux crimes impossibles enchâssés dans l’ensemble de l’histoire, l’hommage aux romans dits « mystère » occupe, de toute évidence, une place de choix. Les références (mêmes inconscientes) que peuvent avoir les lecteurs avec ce genre sont ainsi habilement utilisées. Qui ne s’est jamais abandonné à la saine lecture de Trois cercueils se refermeront ou autres Dix petits nègres ? S’y ajoutent toutefois l’exploration de la psychologie profonde d’un personnage, la compréhension d’oppositions militaires ou encore le suivi de la création d’un film. L’ensemble aurait pu être confus et la chronologie se perdre, mais la fluidité dans la présentation des évènements et le recours à un chapitrage judicieux permettent au scénariste de contourner l’obstacle.

Le volet graphique n’est pas en reste. Avec sa maîtrise du travail aux pastels, Jorge González (Mécaniques du fouet, La flamme) retranscrit une atmosphère énigmatique et sombre (en cent vingt planches, les cases comprenant quelques touches de couleurs chaudes se comptent sur les doigts). Son style réaliste, presque chirurgical, sert parfaitement le propos. Si la composition de quelques planches est relativement classique, certains gros plans attirent l’œil et des pleines pages se répondant l’une à l’autre ponctuent régulièrement les différentes séquences.

Savant mélange entre polar, mystère, espionnage et faits historiques, Cauchemars ex machina est assurément une réussite qui doit autant à son scénario parfaitement ficelé qu’à des dessins qui ne peuvent pas laisser indifférent.

Moyenne des chroniqueurs
8.0