Mutafukaz 2 1. Leaving D.M.C.

L es autorités américaines ont recouvert les événements de Dark Meat City du voile du secret d’État. Sept ans après l’inexplicable, l’absence de transparence, la manipulation de l’opinion par des mouvements contestataires et la montée des inégalités ont engendré la prolifération de fausses informations relayées par des milliers d’inconnus. Chauffée à blanc par l’énigmatique titulaire du compte complotiste Oméga, une bande armée pénètre à l’intérieur d’un sushi-bar. Leur objectif est de libérer les enfants asiatiques prétendument séquestrés en arrière-boutiques des restaurants japonais et dont le sang serait utilisé comme ingrédients de la sauce soja pour ses propriétés rajeunissantes. Un scandale ! Sauf que bien entendu, il n’y a pas de chérubins dans les caves de l’établissement. Aussitôt, les échanges tournent court. Les balles fusent et la tête de la patronne explose comme une pastèque. Problème, Angélino en pinçait pour cette gentille cheffe d’entreprise. Sa nature enfouie refait alors surface et des caméras disposées dans la ruelle enregistrent le carnage. Les fédéraux sont tenus informés de la présence d’un Macho sur le territoire national. Bref, c’est le début de la cavale !

Annoncé l’an dernier, le Label 619 a quitté Roubaix pour la capitale en vue de prendre un nouvel envol chez les éditions Rue de Sèvres. Concrètement et malgré quelques pépites au catalogue, la structure éditoriale d’Ankama est le parent pauvre d’une société qui œuvre davantage dans l’animation, les jeux-vidéo et tous ses produits dérivés. Appartenant au groupe l’École des Loisirs, la maison parisienne se concentre, quant à elle, uniquement sur la réalisation et la diffusion de livres. Pour asseoir ce mercato, deux séries d’importance ont la lourde tache d’ouvrir la voie de cette collaboration : la saga Funérailles de Florent Maudoux s’offre ainsi un septième volume toujours aussi esthétique et l’épisode inaugural de la seconde saison de Mutafukaz - rebaptisé MFK – affiche un melting-pop de contre-culture jouissif et déjanté.

Auteur complet, Run a construit une véritable suite faussement foutraque et réellement structurée. En parallèle de la fuite d’Angélino et de Vinz les entraînant à la rencontre de la faune profonde de la Californie et du Nevada, l’opus Leaving D.M.C présente un éventail d’enjeux politiques. Dès son prologue, le scénario aborde le développement du programme spatial chinois. Celui-ci est contrarié par une mystérieuse explosion lors de son alunissage sur la face cachée de l’astre. Or, si cet univers ne vous est pas étranger, vous savez déjà que « la vérité est ailleurs ». Des entités provenant de l’espace ont récemment été chassées. Mais où ont-elles pu trouver refuge ? Forcément, l’Empire du Milieu doute des déclarations de l’Oncle Sam. Quant à la politique intérieure des États-Unis, le chef de l’opposition s’en prend vertement à l‘occupante de la Maison-Blanche. Ce biais d’écriture permet de dénoncer le rôle pivot des réseaux sociaux dans nos démocraties, le poids des éditorialistes et une somme de contre-vérités diffusées sur les médias d’oligarques. Toute ressemblance, avec le début de la campagne présidentielle en Gauloiserie n’est probablement pas fortuite !

Côté graphisme, le style urbain de l’artiste demeure au creuset du comics, du manga et du franco-belge. Dynamiques, ses planches sont soignées et souvent spectaculaires. L’équilibre des noirs et le jeu des couleurs entretiennent les influences West Coast du projet initial alors que le récit se déporte vers des étendues arides. Par ailleurs, l’illustrateur met en scène « ces deux gars sûrs » dans un camping-car craignos. Hormis, le clin d’œil appuyé à Breaking-Bad, le véhicule permet de glisser des vignettes iconiques bien senties. Il en va de même de l’animation d’une génération de tatoués hyperconnectés et de survivalistes nudistes lourdement armés. En résumé, à l’avenant de ses précédents travaux et servie par un script au potentiel visuel prononcé, la prestation du dessinateur est impeccable.

Un poil manichéen, ce second arc de Mutafukaz condense habilement le meilleur des travers de la société américaine à l’occasion d’une virée explosive !

Moyenne des chroniqueurs
6.3