À Pleines Mains

T rentenaire et puceau, Pablo croule sous les dettes. Il est contraint de mettre la clef sous la porte de son sex-shop, d’abandonner son indépendance et de retourner vivre chez papa-maman. Heureusement, ses parents ont une surprise. Ils ont cessé de louer sa chambre et ont ressorti tout un tas de vieilleries. Ses posters d’adolescents, son ordinateur à disquettes et ses figurines trônent à nouveau dans son espace intime qui fleure bon le passé. Malgré l’amère sensation de repartir de zéro et d’avoir perdu une bonne décennie de sa vie, Pablo y retrouve ses premiers émois. Un fichier dénommé P4B16 sur son PC lui rappelle Gudrun, une barbare pixelisée qu’il avait encodée. Le désir refait alors surface, son pantalon se gonfle et il reconquiert par un geste solitaire un plaisir qui l’avait quitté. L’intéressé y gagne également une idée de génie : personnaliser des salles de masturbation afin de recréer un instant suspendu et de standing pour des clients aux bourses généreuses.

La nouvelle comédie de Thomas Cadène et de Joseph Safieddine aborde la stimulation manuelle avec humour et dérision. Leur protagoniste principal, aussi gauche en société que brillant investisseur en libido, possède tous les attributs du parfait looser. Vierge, il se complaît dans son fantasme d’adolescent (une guerrière ronde en armure). L’onanisme est donc son unique horizon jusqu’à la rencontre de Marcella. Basculant dans la romance, l’équipe créative lui concocte un arc narratif aux petits oignons et, il faut l’admettre, un peu attendu. Seulement, le traitement en équilibre entre le potache et le réel génère la dose nécessaire d’empathie. D’autant plus que la galerie de personnages est au diapason de l’anti-héros. Ils sont différents, parfois patauds et somme toute humains. À force d’idées ingénieuses, les auteurs distillent de la singularité à leurs séquences et provoquent de la bienveillance à l’égard de cet ovni estampillé hâtivement grivoiserie de salon et véritable récit feel-good. Au fait, l’épilogue conforte toutes les attentes. Comme quoi, peu importe la grosseur de la ficelle !

Pierre Thyss anime le script par un dessin rond et peu avenant au premier abord. Il compose avec simplicité ses acteurs de papiers en les encrant d’un trait à l’épaisseur uniforme. À bien des égards, sa proposition l’éloigne de ses précédents travaux, à la fois plus proportionnée que Plantes Froides et moins estompée que Traducteurs Afghans. Au gré des pages, la copie apprivoise l’œil tandis que son graphisme s’affirme en arrière-plan. Surtout, l’illustrateur représente la sexualité crue sans verser dans l’érotisme ou dans la pornographie. Une telle prouesse ne tient que par son style, qui se révèle donc particulièrement approprié !

Gentiment irrévérencieux, le récit À pleines mains décroche son lot de rictus, plus qu’il ne colle des mouchoirs !

Moyenne des chroniqueurs
8.0