La brigade Chimérique - Ultime renaissance La Brigade Chimérique - Ultime…

D epuis près d’un siècle, Paris les avait oubliées, mais voilà que surgissant de nulle part, une de ces aberrations sème la désolation à la station Arts & Métiers. Le gouvernement ne saurait tolérer qu’un vent de panique s’instaure dans la Capitale, alors que les images du drame font déjà le buzz sur tous les réseaux ? Aux grands maux, les grands remèdes… il est temps de rappeler la Brigade chimérique !

Ultime renaissance regroupe – en plus de deux cent cinquante pages - ce qui aurait dû se décliner en huit issues. La réalité économique du moment en a décidé autrement, mais pour donner à l’évènement toute sa dimension et l’inscrire dans une certaine forme de continuité, Delcourt reprend la couverture toilée, à l’esthétique soignée, de la librairie L’Atalante et propose ainsi un superbe écrin aux aventures d’un quatuor composé, pour l’occasion, de Jean Legris, l’Homme truqué alias Rigg depuis qu’il a migré à Groom Lake, Béatrice Ortega qui assume sa bisexualité en devenant Félifax, Nelly Malherbe qui ignore qu’elle est la réincarnation de son aïeule Palmyre, la Sorcière moderne et, enfin, du Soldat inconnu… plus connu en tant que lieutenant de Séverac.

Brigade chimérique, tente de rendre ses lettres de noblesse à une production littéraire hexagonale tombée en désuétude face à l’hégémonie des super héros made in USA. Pour expliquer cet état de fait, Serge Lehman pose que bien qu’existant sur le vieux Continent et notamment dans la France des Années folles, ces surhommes ne purent - au sortir de la Seconde Guerre mondiale - se développer pleinement dans une Europe meurtrie et culpabilisée. Une telle auto-censure n’était pas de mise dans une Amérique qui se cherchait une mythologie à sa (dé)mesure. Avec pragmatisme et opportunisme, elle inventa un modèle culturel à sa gloire, elle qui se voulait la protectrice du monde libre ! Frustré mais nullement découragé face à cette situation, le scénariste de La saison de la couloeuvre décide donc de remettre au goût du jour ces héros oubliés en créant l’Hypermonde et le Radium punk. Bien que louable, l’effort reste - éditorialement parlant - de l’ordre du confidentiel face aux armadas de DC, Marvel et consort. Cela étant, il est possible (sans être paranoïaque) d’apprécier Batman et Masqué ou Wolverine et Fox boy… il suffit seulement d’admettre que si Rennes est une jolie ville, ce n’est pas Gotham ! Ceci étant acté, ce constat ne doit pas faire oublier l’essentiel… le plaisir que procure cet album !

Premièrement, Serge Lehman réussit la gageure de poursuivre son récit après une éclipse d’un siècle sans qu’il soit nécessaire de se replonger dans ses prémices pour en comprendre la finalité. Ce faisant, Ultime Renaissance se suffit à lui-même et permet à un nouveau public de venir faire nombre avec ceux qui découvrirent (entre autres) le Nyctalope avec Gess et Céline Bessonneau. Deuxième tour de force, celui qui consiste à agrémenter le fil de l’histoire d’une multitude de références explicatives et de clins d’œil décoratifs qui permettent de contextualiser avec à propos les pérégrinations de l’équipe menée par le professeur Charles « Dex » et d’enrichir l’iconographie des récipiendaires de l’Hypermonde sans pour autant tomber dans une forme d’intellectualisation pour initiés qui en gâcheraient la lecture. Dernier point à mentionner, un scénario qui joue sur plusieurs niveaux de narration et mène de front l’entrée en scène de ses personnages, leur positionnement les uns par rapport aux autres tout en déroulant la trame du récit afin de conduire le lecteur vers la confrontation finale. Alors bien évidemment, de temps en temps, les écueils du mimétisme ne sont pas très loin, comme la facilité à succomber aux tendances du moment, mais ceci reste anecdotique au regard de la qualité du scénario et de la partition graphique de Stéphane de Caneva. Sur ce point, l’expérience parle ; celle accumulée sur Metropolis pour ce qui est de représenter la ville, comme celle acquise dans les séries feuilletonesques avec 100 milliards d’immortels. Graphiquement le résultat est des plus séduisants et la mise en couleur de Lou n’y est certainement pas étrangère.

Toutefois, malgré ces efforts, Ultime Renaissance reste entre deux eaux ! Question de psychologie, de culture… dans un pays où l’un des rares super-héros contemporains s’appelle… Superdupont, sans évoquer l’image véhiculée par Super-héros malgré lui de Philippe Lacheau qui sortira en février prochain ! Plus sérieusement, une certaine propension au cartésianisme, une part d’autocensure dans la démesure, une (relative) aversion à tout manichéisme réducteur ou une prédisposition pour le second degré envers les super-héros en slip… semblent devoir expliquer cette différenciation (aux allures de distanciation !) par rapport au modèle américain. Quoi qu’il en soit, Ultime renaissance comble le vide laissé par le dénouement des Brigades chimériques et sait revisiter brillamment les arcanes des comics américains tout en en offrant une variation qui sait, fort habilement, se démarquer de ses illustres et encombrants ainés.

Moyenne des chroniqueurs
7.7