47 cordes 1. Première partie

B ien qu'il l'ignore, Ambroise, harpiste professionnel, est devenu la proie d'une créature étrange, capable de prendre l'apparence qu'elle désire. Il en croise différentes incarnations sans le soupçonner. Parfois, toute tentative de contact tourne court, tant le jeune homme est difficile à approcher. À d'autres moments, une relation se noue, sans pourtant atteindre le but poursuivi par la métamorphe : une forme d'amour exclusif qui vire à la possession pure et simple. Cette dernière multiplie les tentatives pour assurer son emprise : une amitié virile, une petite amie mystérieuse et surtout une mentor, lorsqu'elle endosse le rôle de Francesca Forabosco, une cantatrice excentrique et exigeante. Cette dernière passe avec lui un étrange marché : relever quarante-sept défis afin de gagner la harpe de ses rêves. A chaque succès, il gagne une corde, mais au moindre échec, il perd tout.

En quelques albums à peine, Timothé Le Boucher s'est imposé comme l'un des nouveaux auteurs qui comptent dans le monde de la bande dessinée franco-belge. Il entame ici, avec le premier volet de ce diptyque, son œuvre la plus ambitieuse qui est un mélange de thriller psychologique, de récit fantastique et d'érotisme. Le style de l'auteur est affirmé et n'est pas fait pour laisser indifférent. Il revendique une certaine influence manga, citant explicitement les shonens, mais son travail évoque aussi Suehiro Maruo par son élégance froide et un certain goût pour la monstruosité. Visuellement, le dessin très lisse paraît parfois désincarné et sans épaisseur. Les personnages, surtout secondaires, manquent singulièrement de substance, comme s'ils n'étaient que de simples marionnettes au service d'un dessein qui les dépasse. Pourtant, le lecteur se laisse lentement happer par le piège dans lequel le héros tombe inexorablement. La construction est fluide même s'il y a quelques longueurs. Une centaine de pages auraient peut-être pu être sacrifiées sans que la qualité du scénario n'en pâtisse. S'il est évident que ce tome ne dévoile que le strict nécessaire avant que le scénario ne s'explicite complètement, de nombreux indices laissent supposer que la conclusion réservera quelques surprises.

Reste que ce livre pèche parfois par un côté paradoxalement bien trop sage. Dans cet étrange jeu de séduction, la tension érotique est omniprésente. L'obsession de l'entité pour le héros s'exprime à de multiples reprises par l'entremise de plusieurs alter ego. Cela peut être dans l'intimité d'une relation de couple, ou, de manière plus intense, lors de bacchanales étranges qui rappellent les orgies de Eyes Wide Shut ou encore de jeux sexuels qui flirtent avec le SM. C'est comme si l'auteur n'osait pas assumer pleinement la dimension sensuelle de son récit. Il reste dans un entre-deux. Il montre trop sans en montrer assez. Alors que beaucoup n'hésitent pas à coller des scènes de cul qui ne servent pas l'intrigue, c'en est presque ironique de se retrouver face à une bande dessinée où elles auraient été justifiées, et même nécessaires, mais font défaut. L'idée était peut-être, à l'inverse, de jouer à fond la carte de l'allusion, suggérant sans rien monter, comme lors de cette première rencontre entre Ambroise et Francesca, au cours d'une séance fétichiste. Mais alors certains passages sont trop explicites pour entretenir la frustration. Embrasser l'attirance des corps ou porter l'affrontement au niveau des esprits. Dans un rapport de domination, ce parti-pris aurait été pertinent. Il aurait fallu choisir. Le sentiment reste donc relativement mitigé. Malgré tout, la dernière scène, bien qu'attendue, donne indéniablement envie de lire la suite.