Tintin - Divers 13. Hergé ou le retour de l'indien…

L ’œuvre d’Hergé – particulièrement les vingt-quatre albums de Tintin – ne cesse de susciter tous types de commentaires, plus ou moins savants. Tous ses aspects sont passés au peigne fin : l’image, la narratologie, les thèmes, la genèse, les approches psychanalytique, sociologique, historique ou structuraliste. On la parodie, la pastiche, la détourne, en attendant que les droits tombent dans le domaine public et que des suites soient envisagées légalement (en 2054, sauf si Moulinsart parvient à faire aboutir une de ses manigances juridiques). C’est là une des caractéristiques de l’exégèse des aventures du héros à la houppe, elle doit composer avec l’interdiction de reproduire quelque vignette que ce soit. C’est le mal dont est frappé Hergé ou le retour de l’indien – Une relecture des « Sept Boules de cristal ». L’auteur balaie d’ailleurs rapidement et intelligemment ce handicap en arguant que le lecteur a fort probablement l’album concerné à proximité. Lecture à deux mains donc, mimant le mouvement de tête de tout spectateur de match de tennis qui se respecte.

Pierre Fresnault-Deruelle, qui fut professeur de sémiologie, spécialisé dans l’image fixe, a déjà consacré plusieurs ouvrages et articles à Hergé. Désormais détaché de tout académisme universitaire – évitant un nécessaire arrière-plan théorique et des concepts abscons – il a la liberté de faire parler son enthousiasme et sa passion. Il s’adonne donc à un exercice pas nécessairement recensé dans la liste des typologies de commentaires, la relecture. De quoi s’agit-il ? D’une énième immersion qui ne retrouvera pas la candeur, la fraîcheur et surtout l’ « in-su » de la prime découverte d’un album et l’exaltation qui l’accompagne (sentiment après lequel tout amateur de livres court toute son existence). C’est un itinéraire par un individu qui sait « comment ça finit », « ce qui se passe après », qui connaît les conséquences des causes qui s’étalent sur le papier. C’est un parcours rétroactif et analytique.

La structure du texte est simple, elle suit la succession des planches. Pierre Fresnault-Deruelle pratique donc une sorte de novellisation (paraphrase, description et résumé des cases ou des unités narratives) et s’arrête au gré de son bon vouloir sur un dessin en particulier, un strip, un aspect graphique qui l’interpelle. Dans ce sens, il est particulièrement attentif aux détails : la météorologie, les objets, les vêtements, les décors, les figurants. « Le lecteur est passé mais le relecteur s’attarde » écrit-il. Pas de projet épistémologique, pas de focale particulière, pas de démonstration en ligne de mire, mais une déambulation, des soulignements, des clins d’œil, des interrogations, des extrapolations, des renvois, dont l’agencement est seulement dicté par le déroulé de l’histoire. Certains épisodes sollicitent davantage son œil et son imagination, comme, par exemple, la danse de Nestor cherchant à se défaire de Milou et du chat ou le rêve de Tintin dans lequel Rascar Capac projette au sol une boule de cristal. Il passe parfois très vite sur des moments qui auraient pu mériter son attention ; c’est son droit. Pauses, accélérations, retours en arrière et émerveillements ponctuent cette déambulation au cœur d’un chef d’œuvre. Il n’y a, au final, aucune bonne raison de se priver de ces rêveries d’un lecteur solitaire.

Moyenne des chroniqueurs
7.0