Daruchan Daruchan ou la vie ordinaire de…

A ussi atypique que surprenant, Daruchan ou la vie ordinaire de Narumi Maruyama employée intérimaire de Lemon Haruna est un manga plus profond qu’il en a l’air de prime abord.

Après avoir fait des petits boulots, Haruna travaille comme assistante d’Akiko Higashimura, avec qui elle a suivi les mêmes cours de dessin au lycée, puis est devenue employée intérimaire. À l’été 2010, à la fin de son contrat, elle décida de devenir mangaka et fit ses débuts à l'automne de la même année. Sa première série, Zucca x Zuca raconte son quotidien d'admiratrice de la troupe de théâtre musical féminine Takarazuka. Par la suite, elle continue à travailler sur ses titres, qui sont autobiographiques (comme Lemon yomumon! dans le lequel elle revient sur son parcours de lectrice, mais aussi Lemon umumon qui lui évoque son accouchement), ainsi que pour d’autres auteurs pour lesquels elle sert d'assistante.
Daruchan a été prépublié en 2017-2018 dans le magazine de beauté Hanatsubaki des éditions Shiseido avant d’être relié en deux tomes. L’édition française proposée par le Lézard noir opte pour un seul volume avec la qualité habituelle proposée par cette maison pictavienne.

La narration de cette histoire est intéressante. Narumi/Daru-chan commence par se présente, ce qui amène le lecteur à penser que la mangaka va user d’un procédé proche de celui de Montesquieu dans les lettres persanes, autrement dit : utiliser un personnage fictif et étranger à la société qu'il visite afin de pouvoir se livrer à des critiques sans bousculer l'ordre moral des bien-pensants ! Et il y a un peu de cela dans ce manga, mais aussi davantage de complexité vu les thèmes abordés. En premier lieu, la charge mentale liée au travail dans la société japonaise. Les critiques sont amenées avec grâce et délicatesse, mais elles sont là ! Le passage où un supérieur de son travail après deux soirées arrosées l'emmène dans un love hotel est à la fois saisissant et glaçant. "Se fondre dans la masse" et la quête de la normalité sont deux obsessions du personnage principal et l'autrice nous a bien eu avec son coup scénaristique de l'extra-terrestre. La femme japonaise, qui plus est, celle qui ne se sent pas dans le moule depuis l'enfance, subit la violence de la société. Cette violence est atténuée par la grâce des dessins et le ton poétique utilisé par Haruna. Le personnage principal, une jeune femme, intérimaire, donc proie facile pour son entourage professionnel masculin, se cherche. Perdue dans une société où toutes différences amènent à l'exclusion, elle arrive à se penser anormale. La vie est faite de rencontres. Celles autour de Daruchan seront importantes et décisives, puisqu’elles lui permettront de s'accepter telle qu'elle est et de progressivement atténuer la charge mentale qui pèse sur elle. Les chapitres où nous la suivons sur sa découverte de l'amour et du couple sont tout simplement magnifiques tant au plan de l'histoire que du dessin empreint de finesse.

Le style graphique de Lemon Haruna est un mélange de ce qu'on peut voir en dessin de magazine et de ligne claire. Mélange étonnant mais plaisant à découvrir et qui sert admirablement le style poétique de son récit. De plus, le manga est en couleur, chose rare. L'utilisation des bleus est saisissante et renforce les passages emprunts de bonheur ou de confidences. Les passages montrant "la vraie Daru" montrent un personnage qui devient flasque, qui reprend forme humaine pour se cacher dans la société. Ce procédé graphique peut prendre le lecteur au piège, s’il se limite au résumé se trouvant en quatrième de couverture.

Ce titre est un plaidoyer tout en style et finesse pour la place des jeunes femmes dans la société japonaise. Un josei féministe qui plaira aux lecteurs curieux.

Moyenne des chroniqueurs
7.0