Morgue pleine

P aris, 1975. Eugéne Tarpon est un détective « privé » de travail. Ancien gendarme, les filatures d'adultères ou les flags de comptables corrompus ne se bousculent pas à sa porte. Au lieu de cela et pour tuer l'ennui, c'est avec l'alcool qu'il paraphe un partenariat. Alors que la dépression le guette et qu'il s'apprête à quitter la capitale pour retourner vivre auprès de sa mère, on daigne enfin à frapper à sa lourde. Derrière, une beauté fatale se disant être Memphis Charles lui annonce : « Griselda, ma colocataire, vient d'être égorgée !!! ». C'est à ses dépens et au péril de sa vie qu'il va apprendre à connaitre ces deux midinettes.

Après les parutions de La Princesse du sang en 2009, Fatale en 2014 et le très remarqué Nada en 2018, Max Cabannes (Dans les villages) et Tristan Manchette alias Doug Headline (Midi-Minuit) poursuivent leur série d'adaptation des romans policiers écrits par Jean-Patrick Manchette (1942-1995). Probablement pour que l'œuvre du père perdure, certainement comme un hommage du fils envers son paternel et son talent scénaristique, ce quatrième one shot vient grossir les rangs de la très belle collection Aire Libre chez Dupuis, un élégant format qui sied à merveille à l'ambiance du récit exposé, sans filtre. D'où il est, le grand Donald Westlake doit apprécier l'initiative à sa juste valeur ! À travers un homicide crapuleux, l'histoire se fait le témoin de ce que fut la violence de l'époque, souvent ponctuées par des investigations bâclées ou clairement orientées de la part des enquêteurs en képis. Une intrigue palpitante, brillamment construite, résolue à coups de flingues, de beignes monumentales ainsi que de « petits dans le dos », libérant le lecteur d'une paire de menottes bien serrée au-delà de son épilogue.

Également au dessin, Headline parvient à relayer avec brio les souffrances endurées par les protagonistes. Son coup de crayon, moitié caricatural et réaliste, nerveux sur les faciès tracassés est accompagné par une verve savoureuse de chaque instant, la plupart du temps retranscrite à la première personne du singulier. Son exercice remarquable sur les décors n'oublie pas les détails : pattes d'eph', costards « pelle à tarte », canevas Pénélope et orange psychédélique qui colorait bon nombre d'objets permettent aux seventies de retrouver tout leur éclat.

Sur des dialogues à rendre jaloux Michel Audiard et Jean-Jacques Beineix, Morgue Pleine ressuscite la vague du « néo-polar », authentique, dure et engagée.

Moyenne des chroniqueurs
7.0