Fausses pistes

« Qu’il soit vrai ou faux, ce discours est juste. »
Depuis quinze ans, Frank Paterson Junior joue le rôle principal d’une pièce de théâtre illustrant un fait d’armes du Marshall Jake « Wild Faith » Johnson, auquel le comédien, probablement autiste, s’identifie à l’excès. Lorsqu’il est congédié, ses collègues lui offrent une excursion organisée (quoique plutôt désorganisée) qui lui permettra de découvrir les décors du Far West. Perdu dans le désert, un voyage mystique lui démontre que l’homme de loi qu’il a longtemps personnifié n’était pas aussi glorieux que son mythe.

Bruno Duhamel raconte fondamentalement trois fois la même histoire. D’abord, la mise en scène contemporaine d’un spectacle bas de gamme. Il rétablit ensuite les faits alors que le héros se trouve sous l’emprise de substances illicites. Enfin, et c’est une forme de rédemption, le protagoniste devient le justicier qu’il croyait incarner. Le scénariste dénonce alors ce qui gangrène actuellement les États-Unis, notamment le culte des armes à feu, la violence, l’indigence intellectuelle et la superficialité.

De l’anecdote se dégage une réflexion sur le vrai et le faux. De toute évidence, aucun des vacanciers n’est vraiment celui qu’il prétend. Chacun ment, cache quelque chose ou ne se montre pas à la hauteur de ses prétentions. En fait, la première puissance mondiale semble s’être construite sur le mensonge. L’auteur déboulonne au passage certaines croyances entourant Billy The Kid et Calamity Jane, sans oublier celle du bon indien. Les autochtones apparaissent en effet avoir un passé passablement belliqueux. Même l’aigle à tête blanche, emblème du pays, est en réalité un pygargue. Et que dire de la reconstitution historique, point de départ de l’aventure, pouvant être comprise comme la mise en abyme du récit national.

Le dessin semi-réaliste se révèle agréable. L’artiste représente particulièrement bien les vastes étendues arides et leurs spectaculaires formations géologiques. Ses personnages, aux physiques très variés, sont du reste réussis. Peut-être certains regards sont-ils un peu trop caricaturaux. Il y a un peu de Sergio Leone dans la construction, laquelle fait large place aux gros plans de visages, lesquels alternent avec des paysages grandioses. Bref, l’illustrateur a su respecter l’esprit de la collection Grand Angle, créée pour accueillir des bandes dessinées inspirées par le cinéma. La colorisation repose souvent sur des teintes fluo, cette artificialité s’avère étrange, mais, au final, convient au projet.

À l’ère de la rectitude politique et des « fake news » qu’affectionnait Donald Trump, ce faux western est réjouissant.

Moyenne des chroniqueurs
7.0