Lucky Luke (vu par...) 4. Lucky Luke se recycle

L a nuit tombe au Far West. Lucky Luke installe son bivouac en plein désert. Il ouvre une conserve peu appétissante et fait mine de s’assoupir à bonne distance de son feu de camp. Soudain, Smith et Wesson, un couple de brigands, sortent de l’obscurité. Ils s’approchent bruyamment et mettent en joue le bel endormi. Raté, c’était un leurre ! Mains en l’air, les malfrats prennent la tangente à la recherche de leur véritable cible. Mais l‘homme qui tire plus vite que son ombre décide d’intervenir. Il sauve Albert H. Overman, l’inventeur de la bicyclette moderne. Emporté par une ribambelle de bonnes actions, le cow-boy solitaire se retrouve, bien malgré lui, à rouler en chasse patates ! *

En parallèle des aventures « canoniques » de Lucky Luke, une poignée d’artistes triés sur le volet obtient le privilège de produire chacun leur version du héros. Ainsi, les lecteurs ont pu découvrir l’hilarant Jolly Jumper ne répond plus de Guillaume Bouzard. D’autres se sont délectés du classicisme des volumes réalisés par Mathieu Bonhomme (L’Homme qui tua Lucky Luke et Wanted, Lucky Luke !). Par la suite, la structure éditoriale Lucky Comics a souhaité ouvrir les frontières de la narration en sollicitant un bédéiste éloigné de la francophonie. L’heureux élu est Markus Witzel, dit Mawil - dessinateur berlinois connu pour avoir reçu le prix Max et Moritz de la meilleure bande dessinée en allemand pour Kinderland (publiée en France par Gallimard).

L’auteur germanique intègre un duo de truands difformes et pugnaces à son histoire. Ces derniers poursuivent un pauvre ingénieur afin de mettre la main sur l’avenir du vélo. À force de lui apporter son aide, le cow-boy embarque à bord d’un train piégé. Il comprend rapidement qu’un compartiment va exploser. Aussitôt, il se dirige vers le wagon et boum ! Le personnage principal est perdu, isolé au milieu d’une vallée aride et dépourvu de monture ou presque... Tête dans le guidon, le brave entame une traversée de l’ouest sauvage sur une selle d’une autre nature qu’à l’accoutumée. L’enjeu du récit en est tout compte fait dévoilé. Le scénario s’appréhende alors à la manière d’une course jonchée d’étapes et d’autant de malentendus. Les rendez-vous manqués sont savamment orchestrés. Ils répondent habilement aux coups fourrés des ignobles bandits et à la bêtise des habitants de Traffic Gulch. De son côté, Jolly Jumper perd les pédales. Et enfin, le script invoque avec à-propos de drolatiques peaux-rouges, notamment Chameau-Éméché. Bref, l’attirail est complet !

La partition graphique est entièrement imprégnée d’un style tuberculeux. Les longueurs variables des membres, les menottes boudinées à quatre doigts, les visages balancés comme des topinambours et les chaussures simplifiées n’emporteront pas une adhésion massive. Pourtant, le trait de Mawil est vivant. En outre, l’illustrateur dérègle son gaufrier avec parcimonie et innovation. Parmi les trouvailles, il glisse une vignette à l’arrière de deux cases visant à manifester la vitesse du tireur. Il distille également une superbe planche de mirages en hommage à Salvador Dali. De sorte à équilibrer les masses et à introduire des effets de matière, il ajoute un relief charbonneux à ses compositions. Quant au reste du contraste des pages, il repose uniquement sur une mise en couleur convenue.

Ne passez pas à côté de Lucky Luke se recycle autrement sous-titré l‘homme qui déraille moins vite que son ombre. Bon enfant, fluide à tendance anachronique, le western revisite gentiment l’une des grandes figures du neuvième Art (qui mouille le maillot pour l’occasion). Et si vous en doutez encore, sachez que la fine gâchette se révèle un redoutable cycliste !

*Rouler en chasse patates : un cycliste qui navigue entre deux groupes, sans réussir à rattraper le premier et sans se faire rejoindre par ses poursuivants.

Moyenne des chroniqueurs
6.0