Fluide

J eanne doit assister au tournage d’une publicité au Portugal. Avant de s’envoler pour superviser les prises de vues, elle annonce à Hector, sa moitié, qu’elle ressent le besoin d’expérimenter sa sexualité. Elle éprouve précisément un désir inattendue du corps féminin. Son conjoint tombe des nues. Il rejette une telle éventualité et une dispute éclate. Cherchant un soutien amical, Hector en discute à son coauteur, Sasha. Ce dernier est célibataire depuis longtemps et s’interdit de sortir des sentiers battus. Que ce soit par choix ou par sentiment, l’amour libre est une aventure fascinante qui se refuse à eux. Puis un soir de beuverie, les acolytes s’imaginent propulser leur héros de comic-book dans le monde réel. William, le barbare au sex-appeal musclé, réagirait-il autrement ? C’est alors qu’il prend vie et ondule avec grâce autour d’une magnifique trentenaire. Les compères arrivent à le mouvoir ! Ils entrevoient soudain une solution : explorer à travers cette projection une libido différente.

Après le feuilleton Été, les scénaristes Thomas Cadène et Joseph Safieddine construisent un nouveau projet visant tant à bousculer le médium bande dessinée qu’à interroger le rapport au couple. Initialement, le duo d’écrivains a rédigé Fluide, une web-série en dix épisodes consacrée à des ménages en transitions. Léo aime Emma qui est attirée par Anaïs. Wael a une vie rangée. Il n’est pas un furieux des positions contrairement à sa petite-amie, Esther. Ces deux amis, bédéistes en mal de succès, identifient aussitôt un moyen de faire une œuvre de reportage très lucrative. Ils se jettent à l’eau et expérimentent une nouvelle formule aux frontières plus floues. Cette réalisation est disponible sur la plateforme de visionnage d’Arte.

Le département Neuvième Art de la chaîne franco-allemande accompagne les éditions Dargaud dans l’entreprise d’une publication du travail de Léo et Wael (les personnages principaux de la mini-série). Or, cette contribution n’est pas le reflet de leurs tribulations télédiffusées, mais une complainte apprêtée. Ainsi, l'ouvrage peut se lire indépendamment des émissions. Étrangement, c’est bien ce point qui pose problème. Puisque les œuvres ne se répondent pas (les noms changent, les intrigues divergent, les situations sentimentales sont opposées, etc.). Il n’y a donc pas de plus-value à découvrir un format et à se plonger, par la suite, dans un autre. Le transmédia ne semble pas remplir son rôle.

La mise en images de cette fiction a été confiée à Benjamin Adam. L’artiste use principalement d’un procédé graphique reposant sur une nuance par séquence (rose, bleu et violet). Il réalise les contours du premier plan en noir, laisse le blanc du papier contraster sa vignette et utilise une teinte pour encrer le fond des cases et constituer une ombre sur les individus. À partir de ce modus operandi, il décline les possibilités autant par un jeu de gaufrier, qu’en ajoutant un pigment à ses phylactères ou encore en supprimant totalement les aplats chromatiques.

Au gré de ses remerciements, l’illustrateur ne manque pas de rappeler à notre bon souvenir Guy Peellaert. Le plasticien avait glissé à l’intérieur des pages du mensuel Hara-Kiri, l’épopée de splendides héroïnes du pop art franco-belge (Les aventures de Jodelle et Pravda, la survireuse). À son tour, Benjamin Adam emprunte un style "Bubble gum" afin de retranscrire les scènes faisant interagir le guerrier issu d’un comics. Faites de rondeur et de couleurs vives, ces parties correspondent à des publications sur un réseau social. Que les curieux suivent @W_illiam_iam.

Fluide n’est ni chaud ni glacial, intéressant et pas toujours lisible, protéiforme et pas parfaitement abouti. Ce « méta-double projet » est sûrement porteur du suivant pour trois auteurs à la production déjà foisonnante, ambitieuse et expérimentale !

Moyenne des chroniqueurs
5.0