Facteur pour femmes 2. Livre 2

L e 26 août 1918, sur un bout de terre loin du continent, le Maire M. Tangi photographie les filles du vélo. Enfin, celles qui se sont présentées à l’enterrement de Maël - le réformé devenu facteur avant de se muer en prescripteur de menus plaisirs. Elles sont neuf à poser. Nolwen, Soizig, Clémence, Lucienne, Germaine, Rose, Gaud, Solange et Simone. À l’été 1960, Linette Prigent observe attentivement ce fameux cliché. Elle est absorbée par le regard de sa mère et par celui de cette poignée de jeunes femmes qui gardent honteusement un lourd secret sur « l’accident » de bicyclette. Désormais, elle connaît la vérité sur ses origines, ainsi que sur les petites affaires qui entourent la mort de son véritable père. Seulement, elle ignore comment ces robustes insulaires ont accueilli le retour de leurs époux, fait face à leur solitude, goûté à une sorte d’émancipation ou encore affronté leur culpabilité.

Avec Facteur pour femmes, Didier Quella-Guyot (Évadées du harem, L’Île aux remords, Papeete, 1914) avait construit un solide scénario, à la fois émouvant et habillement structuré. Conçu comme un titre auto-conclusif, le premier livre se consacrait à Maël. Ce jeune Breton échappait à la mobilisation en raison de son pied-bot. Pourtant, par concours de circonstances, cet aléa lui offrait une séduisante revanche sur la vie jusqu’à un tragique événement. Portée par un succès mérité, la collection Grand Angle des éditions Bamboo a convaincu l’écrivain de proposer une suite. Naturellement, le récit des survivantes lui est apparu légitime, voire nécessaire. Ces armoricaines ont fait société sans les hommes, alors que peuvent-elles bien attendre de la rentrée des poilus ? À cette question, l’auteur répond principalement par la défense des droits acquis. Ainsi, de l’usine aux champs, les héroïnes aspirent à la reconnaissance de leur identité, de leur désir et de leur indépendance. Évidemment, cela tend à déplaire à leurs compagnons meurtris par la guerre ! En outre, certaines sont rongées par leur mauvaise conscience et ces doutes ne font pas bon ménage avec la curiosité des figures d’autorités locales. Au final, ce second volume est malicieusement orchestré. Il joue sur différentes temporalités et dispose, au surplus, d’un dénouement qui recèle son lot de révélations.

Sébastien Morice n’a pu poursuivre l’aventure puisqu’il est accaparé par son adaptation de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol (six albums en prévisions, dont le diptyque Marius est déjà disponible). Il convenait donc de trouver un successeur capable d’animer une communauté féminine déjà inscrite sur la rétine des lecteurs. C’est à Emmanuel Cassier (L’Héritage du Chaos, Esclaves de l’île de Pâques) que la mission a été dévolue. L’artiste a su relever ce défi avec les honneurs, même si son langage graphique est davantage épuré et sa technique de colorisation moins picturale. Il est surtout à mettre à son crédit l’instauration d’une atmosphère plus sombre, résonant au diapason de l’omerta ambiante et de la gravité du contexte.

Le prolongement de la chronique sociale Facteur pour femmes explore, à force d’humanité et de retenu, les relations d’un groupe d’individus isolé sur un îlot battu par les quatre vents. Ce ricochet est pertinent, parfois cruel et presque féministe !

Moyenne des chroniqueurs
6.5