Et l'Homme créa les dieux

P ourquoi existe-t-il des religions dans le monde ? Ont-elles une origine commune ? Pourquoi les gens sont-ils croyants ? Nous sommes ici face aux interrogations les plus fondamentales, les plus intemporelles et peut-être les plus cruciales pour l'avenir des hommes sur la terre. Dans cet ouvrage novateur, Pascal Boyer apporte des réponses concrètes en s'appuyant sur des recherches en sciences du cerveau, en anthropologie en psychologie et en biologie de l'évolution. Cette approche croisée permet non seulement de comprendre enfin pourquoi la religion existe, mais aussi pourquoi la force de ces croyances peut pousser les hommes au don de soi mais aussi à l'intolérance et au fanatisme. Bouleversé par cet essai qui a changé son regard sur les croyants, Joseph Béhé en livre une adaptation remarquable qui permet, par l'image, de rendre accessible au plus grand nombre ces questions essentielles.

Parler des religions est complexe et particulièrement délicat. Tout le monde a un avis sur le sujet, qu'il soit croyant ou non. Mais lorsqu'il s'agit de réfléchir sérieusement au pourquoi et au comment un culte se développe, le chercheur se heurte souvent à une foule de stéréotypes et d'idées préconçues. L'approche scientifique est difficile à mettre place parce qu’elle se heurte aux tenants de la foi, pour qui toute explication relève de l'irrationnel, et échappe donc de facto à la compréhension humaine, et à ceux qui ramènent la religion à une simple construction intellectuelle qui ne sert que de béquille pour tromper l'angoisse face à l'inconnu.

Ces théories, aussi simplistes l’une que l’autre, ne parviennent pourtant pas à expliquer complètement la création de concepts religieux ? Pourquoi certains ont-ils connu une telle adhésion dans les sociétés humaines alors que d'autres n'ont fait que passer ? Comment expliquer que certains bénéficient d’une légitimité profonde alors que d'autres demeurent des « plaisanteries ». Ainsi, s’il semble acceptable à certains qu’un dieu puisse nous observer à tout instant, jugeant nos actes, ils n’en considèrent pas moins saint Nicolas comme un personnage plutôt folklorique et imaginaire. Pourtant, l’un et l’autre sont des entités surnaturelles qui possèdent un pouvoir d’omniscience. Pourquoi l’un serait plus crédible que l’autre ?

Pour répondre à ses questions, il ne faut pas se cantonner à une étude sociétale ou philosophique. Il faut aussi accepter de remiser ses convictions au vestiaire et prendre du recul. Il faut également intégrer un large panel de disciplines qui englobe l'anthropologie, les sciences cognitives, la linguistique et la biologie évolutionniste. c'est seulement ainsi que ce mécanisme pourra être décrypté.

Il ne s'agit donc pas de statuer sur l'existence ou non de.s dieu.x et déesse.s. En fait, exclure l'aspect divin de l'équation ne modifie pas fondamentalement le raisonnement. Ce qui importe, c'est que les adeptes acceptent les préceptes et pas que ces derniers soient fondés. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'essai original de Pascal Boyer, adapté ici par Joseph Béhé, avait suscité des avis enthousiastes aussi bien de croyants que d'athées.

Pour mener son analyse, cet ouvrage jongle avec des concepts parfois compliqués à saisir. Il s'agit de démonter le mécanisme de la pensée et de l'intelligence à la fois individuelle et collective pour isoler les rouages qui régissent le fonctionnement de notre cerveau, et ce de manière complètement inconsciente. C'est toute une machinerie invisible et silencieuse qui tourne en permanence. Elle classe, analyse et déduit des centaines d'informations à chaque seconde. Il convient de comprendre comment ces dernières sont traitées, ce qui implique une réelle gymnastique mentale. Par analogie, en nous levant, nous ne réfléchissons pas à la manière de répartir notre poids ou à la puissance musculaire nécessaire. Notre ordinateur central déclenche une série de sous-programmes qui s’exécutent en arrière-plan pour répondre à un ordre simple. Rendre ces procédés intelligibles est donc un véritable défi. L'exercice de vulgarisation de Joseph Béhé n'en est que plus méritoire.

Son adaptation repose sur deux axes : introduire une narration pour rendre le sujet plus dynamique et proposer une représentation visuelle accessible à des idées et hypothèses abstraites. Il applique tout d'abord un procédé classique qui repose sur une mise en situation "banale", à savoir une discussion ouverte entre Pascal Boyer et des amis. Il peut ainsi éviter l’écueil d'un discours magistral pour favoriser une forme de proximité et tirer profit de "candides" qui permettent de faire avancer la discussion avec fluidité. Mais le plus grand défi consistait à illustrer le propos très pointu de l'anthropologue. Le risque était d'alterner une succession de diaporamas indigestes (n'est pas Jens Harder qui veut) et de schémas dignes de la plus pénible présentation Powerpoint. Au contraire, il arrive toujours à trouver des solutions graphiques lisibles. Les mises en situation sont vivantes sans paraître forcées et ses passages didactiques atteignent leur but.

Et l'homme créa les dieux n'est pas une bande dessinée qui se dévore. Son propos est complexe et sa narration dense. Il faut parfois le laisser quelques jours de côté pour laisser décanter. Il ne faut pas hésiter à relire certains passages, revenir en arrière pour bien comprendre certains éléments ou les confronter au vu de nouvelles explications. Mais le sujet l'exige et, aussi ambitieuse que soit l'entreprise, force est de constater que l'auteur s'est donné les moyens de la mener à son terme. La masse de travail est impressionnante et le résultat est passionnant.

Moyenne des chroniqueurs
8.0