Chroniques de Jeunesse

P endant ses études en Arts Plastiques et avant de pouvoir voyager tout autour du monde, Guy Delisle doit penser à la suite et trouver comment financer son école dans l'animation. Pour cela, il tente sa chance dans l'entreprise dans laquelle son père travaille depuis toujours, la Papiers White Birch. Trois étés durant, le jeune homme va s'échiner douze heures d'affilée pour mettre de côté de quoi gagner un peu d'indépendance.

Après la Birmanie, Jérusalem, la Chine avec Shenzen et la Corée du Nord et Pyongyang, l'heure des voyages lointains d'une année, avec toute la famille, semble révolue pour Guy Delisle. C'est donc dans ses souvenirs qu'il est allé puiser l'inspiration pour livrer de nouvelles chroniques, sans perdre sa plume. Il va avoir dix-sept ans (l'âge de son fils aujourd'hui) et ses envies de dessin sont fortes. L'usine de « papier et pâte » au bord de la rivière Saint-Charles à Québec remplace les paysages dépaysants de ses précédentes pérégrinations mais le trait reste le même. Cet endroit a marqué son enfance, du fait de sa situation face à la vieille ville, son architecture mais surtout parce qu'elle est le lieu de travail de son père. Seul personnage dessiné de sa famille, il est paradoxalement le grand absent de sa vie. Ingénieur là-bas, c'est par son biais que l'apprenti dessinateur y entre, mais leurs relations ne vont guère plus loin. Cette révélation permet de remettre en perspective le propos des Guide du mauvais père, comme si l'auteur avait exorcisé, avec cette série, son angoisse de reproduire les manques paternels qu'il a subis.

Guy Delisle exprime ses doutes d'adolescent et restitue avec aisance cet âge où les explorations, culturelles essentiellement, sont nombreuses. Il y décrit également son éveil à la bande dessinée avec la lecture de grands noms du neuvième Art. Toujours pleines d'humour, ses anecdotes rappelleront à coup sûr des situations de gêne et de stress à nombre de lecteurs. L’œil affuté, l'artiste croque, avec plus ou moins d'exagération, les stéréotypes. Blagues potaches, dureté du boulot, bruit omniprésent, routine qui use, tel est le quotidien des permanents de l'entreprise White Birch que l'avatar de l'auteur, sans en avoir l'air, prend plaisir à retrouver au fil des étés. Avec la justesse qui le caractérise, il replonge dans l'époque des premiers jobs, ceux qui donnent la motivation nécessaire pour ne pas les faire toute sa vie. La découverte du monde, difficile, du travail et de ces ouvriers, le décalage entre les aspirations d'un adolescent et celles, plus terre à terre, de ses collègues le temps de quelques semaines. Rien de novateur mais le talent de conteur du scénariste rend la lecture fluide, prenante et par moments, amusante.

Temporelles plutôt que géographiques, ces Chroniques de jeunesse gardent, l'exotisme en moins, les qualités de leurs grandes sœurs. Un récit drôle, sincère, à défaut d'être pleinement passionnant, qui apporte un éclairage nouveau sur le parcours et la construction d'un auteur qui dessine la vie avec une justesse impeccable.

Moyenne des chroniqueurs
5.5