Pour réussir un poulet

C arl et Steven essayent de s’en sortir. Sans formation, ni réelle éducation, ils enchaînent petits boulots et combines à la marge de la loi. Il ne s’agit pas de criminels, non. Au fond, ce sont même des bons gars, en tout cas jusqu’à présent. Là, ils récupèrent des métaux pour Mario Vaillancourt. Ça ne paie pas beaucoup, mais ce « boss » du quartier leur a promis un autre plan plus lucratif, s’ils s’acquittent convenablement de leur tâche.

Adaptation de la pièce de théâtre du même nom signée Fabien Cloutier, Pour réussir un poulet est une peinture sans fard ni artifice d’un pan de la société québécoise. Au centre du sujet : les décrocheurs (les jeunes qui sortent de l’école secondaire sans diplôme, un des problèmes récurrents du système éducatif) et les laissés pour compte d’une société qui semble les avoir oubliés. Dépourvus des compétences attendues par l’économie moderne et ne possédant aucun des codes pour interagir avec celle-ci, ils tentent de surnager et sont des cibles faciles que des esprits malintentionnés n’hésitent pas exploiter.

Paul Bordeleau (Le 7e vert) a choisi de reprendre tels quels les mots du texte original. Et quels mots ! Le lecteur prend là une véritable leçon de parler québécois le plus pur. Phonétique approximative, anglicismes mal digérés, grammaire et conjugaison du troisième type, sans compter l’avalanche continue de jurons bien sentis, les échanges fusent de tous bords et mettent véritablement la table à cette tragi-comédie contemporaine. Par contre, la volonté du scénariste de rester à tout prix fidèle au matériel d’origine butte à plusieurs reprises sur les différences narratives intrinsèques existantes entre théâtre et bande dessinée. En dépit de toute l’inventivité employée par le dessinateur, le découpage s'avère parfois haché et les scènes s’enchaînent de façon très serrées. En résumé, l’album manque drastiquement de respirations ou de passages purement descriptifs (les cases muettes se comptent sur les doigts d’une seule main, par exemple). Résultat, malgré le langage tellement coloré et la drôlerie de nombreuses situations, la lecture se montre lourde, car trop dense et sans répit pour les pupilles.

Honnêtes et sincères portraits de personnages passant habituellement sous le radar des médias (ou alors seulement à la rubrique des faits divers), Pour réussir un poulet n’intellectualise pas, ni ne moralise. À la place, il renvoie une image forte de ceux qui sont si souvent ignorés. Oui, ces gens existent et, comme tout un chacun, ils aspirent seulement à une vie meilleure.

Moyenne des chroniqueurs
6.0