Cent mille ans Bure ou le scandale enfoui des…

« La filière nucléaire a bâti un appartement sans toilettes. »
Que faire avec les résidus radioactifs ? Dans le bon vieux temps, il était possible d’en disposer dans les océans, mais ce n’est malheureusement plus permis, paraît-il que les barils rouillent et laissent fuir les contenus. Les stocker sur la Lune ? Les balancer dans le Soleil ? Mais non, pas besoin de chercher si loin, il suffit de les entreposer à Bure, dans la Meuse, une des régions les moins peuplées de France, là où la capacité de mobilisation de la population est limitée. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs y construira un réseau de galeries long de deux cent soixante-cinq kilomètres. Les scientifiques sont catégoriques, la roche contiendra toute fuite pendant cent mille ans. Qui dit mieux ?

La cause n’est pourtant pas gagnée d’avance, les promoteurs prennent donc les grands moyens : ils investissent des millions dans l’économie locale, développent du matériel pédagogique distribué dans les écoles et collaborent avec des influenceurs actifs dans les médias sociaux. Les militants s’entêtent tout de même ; du coup, le débat se transporte dans les cours de justice, puis les gendarmes, l’armée et les brigades antiterroristes s’en mêlent.

Cent mille ans, Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires est le résultat d’une enquête journalistique menée par Pierre Bonneau et Gaspard D’Allens, lesquels démontrent que la proposition n’a pas vraiment de sens. Pour arriver à cette conclusion, les deux hommes ont rencontré tout le monde et consulté tous les documents. Ils mettent par ailleurs en évidence l’arsenal de stratégies déployées pour manipuler les habitants. Cet aspect s’avère d’ailleurs le plus fascinant.

Dans ce reportage, paysans, écologistes et la plupart des politiciens régionaux conviennent que le projet est indéfendable. Et ils ont probablement raison. Il aurait néanmoins été opportun d’entendre les arguments de ceux qui ont choisi le lieu et qui maintiennent que cet endroit demeure le meilleur, faute de quoi la démarche s’apparente davantage au pamphlet qu’au journalisme. Un avertissement en début d’album indique du reste que les journalistes se sont engagés dans la lutte. Ils protestent beaucoup, mais ne proposent pas vraiment d’alternative ; l’Hexagone ayant adopté cette forme d’énergie, il faut bien se débarrasser des matières contaminées. Si elles ne sont pas traitées en Lorraine, cela devra se faire ailleurs.

Les illustrations de Cécile Guillard se révèlent plutôt chouettes. Son trait, tout en rondeurs, traduit admirablement les émotions des protagonistes. Ses couleurs à l’aquarelle sont aussi très réussies ; tant pour magnifier les verts pâturages que pour dramatiser la menace et la violence de certaines situations. Il y a un peu d’Edgar Munch dans son travail, ce n’est pas pour rien qu’une vignette reprend son célèbre Cri.

Un ouvrage intéressant, qui aborde des enjeux d’aujourd’hui. Au premier chef le nucléaire, mais également le dépeuplement des campagnes et, surtout, la manipulation politique.

Moyenne des chroniqueurs
7.0