Lucky Luke (Les aventures de) 9. Un cow-boy dans le coton

L ucky Luke s’apprête à prendre quelques jours de repos dans un patelin du Kansas. Il y retrouve un vieil ami, Bass Reeves, un marshal, qui convoie les Dalton vers leur énième séjour derrière les barreaux. Le shérif a la particularité d’être le seul noir, ancien esclave, exerçant ces fonctions à l’ouest du Mississippi. Le célèbre cow-boy apprend que Constance Pinkwater, une fan, a fait de lui son héritier unique : il devient propriétaire de la plus grande plantation de coton de Louisiane. D’abord réticent, il accepte l’héritage pour ne pas jeter des familles entières à la rue. Joe Dalton, qui a entendu la nouvelle, rêve déjà de s’évader et de dépouiller son éternel rival. Lucky Luke et l’inénarrable Jolly Jumper, aux états d’âme poétiques, prennent la route vers le Sud. Le projet est de partager la propriété entre tous les employés. Mais le justicier va vite s’apercevoir que la fin de la guerre de Sécession n’a pas apaisé toutes les tensions et que l’abolition de l’esclavage n’a pas changé les mentalités.

Un Cow-boy dans le coton est le neuvième volume des Aventures de Lucky Luke, série qui succède depuis 2004, sous la licence Lucky Comics, aux soixante-douze albums essentiellement dessinés par Morris et écrits par Goscinny. Depuis une vingtaine d’années Achdé (Bikers, CRS = Détresse) en est le dessinateur attitré. Jul (Il faut tuer José Bové, Silex and the city) signe là son troisième scénario. Dans la veine de La Terre promise (2016), où il s’attaquait à l’antisémitisme, il aborde le racisme, thème intimement lié à l’histoire des États-Unis, et peu abordé dans la bande dessinée des années 50 et 60. La période se focalisait sur une Amérique plutôt occupée à combattre les indiens, à explorer de nouveaux territoires et à se tuer entre blancs. Les Chinois de L’Héritage de Rantanplan sont bien intégrés et, au fil des sagas western, les personnages de couleur sont plutôt l’objet d’une absence vertigineuse. Toby « Face sombre », garçon vacher, qui apparait dans Red Dust (1972), premier épisode de Comanche (Hermann), se remarque d’autant plus. Black Face (1983), vingtième tome des Tuniques bleues en sera un autre exemple.

Le héros à la chemise jaune va alors croiser des salariés viscéralement méfiants (combien de promesses leur a-t-on faites et qui n’ont pas été tenues ?), Tom Sawyer et Huckleberry Finn, sortis des romans de Mark Twain, Quincy Quarterhouse, caricature du propriétaire raciste et borné, la population cajun, généreuse et pittoresque, et les fous furieux du Ku Klux Klan, largement ridiculisés. C’est à nouveau un album engagé, mais auquel ne manque ni l’humour, ni les références historiques ou le respect de l’esprit de la saga. Les Dalton sont idiots, Averell attachant, Jolly Jumper moraliste. Seul le personnage principal est en proie à des sentiments inhabituels. Une touche de modernité et d’innovation complète le souci du respect scrupuleux de cet univers archiconnu et codifié. Achdé est dans le mimétisme inévitable du trait de Morris, mais quelques initiatives sont bienvenues (l’illustration de l’ouragan ou la scène nocturne avec Angela).

N’en déplaise aux puristes qui ne jurent que par le mythique tandem Morris-Goscinny, Un Cow-boy dans le coton est un album courageux, drôle, bien écrit et opportun. L’actualité récente du pays de l’Oncle Sam ne fait que confirmer la pertinence du propos. Il est des sujets sur lesquels il ne faut pas se taire. Le comique a démontré depuis des siècles sa capacité à dénoncer. C’est ça aussi la bande dessinée.

Moyenne des chroniqueurs
8.0