Joker : Killer Smile

I l a deux semaines pour tenter de pénétrer l'esprit malade de son patient. Quatorze jours pour décrypter, analyser et comprendre un comportement décrété anormal à l'unanimité. Mais il s'est laissé entraîner et perdre dans ce labyrinthe sordide ; il a lâché la corde qui le reliait encore à la réalité. Ce bon docteur Ben Arnell est tombé dans le piège de l'homme au sourire trop large ; Mister Sourire va saccager Bonheurville et ses habitants.

Entre deux tomes de l'excellent Gideon Falls, Jeff Lemirre (Descender, Sweet Tooth, Black Hammer) et Andrea Sorrentino se retrouvent dans l'univers DC et s'attaquent à l'un des super-vilains les plus charismatiques.

Le scénariste offre sa version du Joker, ici dénuée de son exubérance habituelle et de son côté showman granguignolesque, presque sobre. Cela accentue d'autant plus l'ambiance inquiétante, car sa déviance se révèle subtile, maîtrisée mais palpable, n'attendant que le bon moment pour se déchaîner. Cette violence froide et brutale est loin de faire rire. La parfaite gestion du rythme induit une montée en tension et en puissance impeccable. Côté narration, ni esbroufe ni blagues tarte à la crème, les phrases sont concises, simples et percutantes. En s’enfonçant dans l’antre mental du Joker, le lecteur se voit proposer quasiment une vraie étude psychiatrique, fascinante et dérangeante, qui s'attèle aux origines de la pathologie mentale de l'aliéné maquillé. L'ouvrage joue perpétuellement avec le réel et n'hésite pas à briser ses personnages. La plongée du psychiatre est inéluctable. L'épilogue surprenant et machiavélique présente un Batman qui prends la place de son ennemi, preuve qu'ils se ressemblent dans leur paranoïa finalement.

Le dessinateur possède un incroyable talent pour figurer, de manière ultra-réaliste, la mise en abîme, le vacillement et la bascule psychologiques. Ses mises en pages sont hyper-travaillées, rarement le découpage et le cadrage ont été aussi primordiaux dans le scénario (éclatement, imbrication, spirale…). Arkham et ses locataires sont dépossédés de leur aspect outrancier et fantastique, ancrant ainsi dans une tangibilité plus vraie que nature le monde gothique de Gotham. L'expressivité des protagonistes, opposée aux arrières plans dépouillés, permet de mettre en avant le face à face dense entre le duo d'acteurs. Les trouvailles visuelles originales et inventives font de chaque planches un régal pour les yeux.

Un récit fondamental à glisser aux côtés de Killing joke sur le podium des meilleures histoires du Joker. La folie est contagieuse, le plaisir de lecture aussi !

Moyenne des chroniqueurs
7.5