Jujitsuffragettes

L ondres, 1910. Le premier ministre Herbert Henry Asquith avait promis d’accorder le droit de vote aux femmes, avant de faire volte-face : les suffragettes sont en colère. Elles portent leurs revendications dans la rue. Il y a de la casse… et des policiers brutaux. Edith Garrud, professeure de jiujitsu avec son mari, entreprend d’instruire à l’autodéfense les gardes du corps d’Emmeline Pankhurst, chef de la Women’s social and political union. Plus que les agents de la paix, ce sont les mentalités qui sont bousculées.

Clément Xavier raconte avec éloquence un chapitre de la petite histoire britannique. Ses manifestantes sont structurées comme un groupe de terroristes ; elles planifient leurs actions et maîtrisent les trucs et astuces de la guérilla urbaine. Comme la faim justifie les moyens, les amazones n’hésitent pas à briser des carreaux et à se battre contre les représentants des forces de l’ordre venus les mâter. Les intervenantes étant nombreuses, le scénariste a toute la latitude voulue pour présenter une multitude de profils. Certaines se montrent vindicatives, d’autres plus diplomates. Les personnages masculins sont également diversifiés. Il y a certes les tenants du statu quo, lesquels aimeraient que rien ne change, puis il y a ceux qui accompagnent leurs mères, leurs épouses ou leurs sœurs dans leur combat. Bien que le sujet demeure grave, le récit n’est pas dénué d’humour ; une des dernières séquences, pendant une assemblée politique, se révèle d’une drôlerie quasi burlesque, alors que les contestataires ont établi une savante stratégie pour ralentir l’avancée des gendarmes.

Lisa Lugrin a recours à un trait semi-réaliste pour illustrer cette saga. Alors que les enjeux sont importants, elle s’attribue la liberté de les livrer avec une touche de fantaisie et de légèreté. Elle ponctue toutefois son travail de représentations de documents d’époque, très efficaces pour rappeler au lecteur que cette saga repose sur des faits. L’illustratrice rend bien le mouvement, celui de voitures, des vélos et des fugitives, mais surtout celui des victimes d’une prise d’art martial, en vol avant de s’écraser piteusement, le tout ponctué de joyeux « sponk » et « splash ». Un minuscule bémol : il apparaît étrange que les banderoles et les affiches de cinéma soient traduites, mais pas toujours, alors que le drame se déroule dans la capitale de l’Angleterre.

Le principe du jujitsu consiste à se servir de la puissance de l’opposant et de la retourner contre lui. C’est exactement ce que font les militantes, avec leurs poings… et leurs idées.

Moyenne des chroniqueurs
7.0