Anaïs Nin Sur la mer des mensonges

A naïs Nin, mariée à Hugo, un banquier, n’a pas la vie dont elle rêvait. Les mondanités parisiennes des années trente naissantes l’ennuient. Son époux est pourtant attentionné et aimant, cependant il est de moins en moins l’artiste qu’elle a connu et de plus en plus un cadre de la finance. Anaïs se voue à l’écriture. Elle prépare un essai sur D.H. Lawrence, rêve d’écrire un roman et tient un journal depuis le jour où son père a quitté sa mère. Elle a grandi entre la France et New York, dans une famille de musiciens, stimulée par un environnement créateur mais prenant de plein fouet la place secondaire concédée aux femmes, même dans ce domaine.

Au fil du temps, Anaïs a l’intuition de sa sensualité, sans l’avoir encore identifiée et éprouvée. Le carcan de son éducation catholique dresse des barrières entre son corps et son esprit. «Mes désirs sont trop puissants pour être ceux d’une bonne épouse» révèle-t-elle. La pratique du flamenco sera le début de la libération. Elle multiplie alors les aventures sensuelles, en conservant, à sa grande surprise, une âme innocente. Elle fait la connaissance d’Henry Miller, avec lequel elle partage d’abord une complicité littéraire. Ils deviennent amants. Lorsqu’elle fait connaissance avec June, la compagne d’Henry, elle en tombe instantanément amoureuse.

Léonie Bischoff (Hoodoo Darlin’, La Princesse des glaces) est accompagnée depuis plusieurs années par les journaux intimes d’Anaïs Nin (1903 – 1977), écrivaine américaine dont l’œuvre se caractérise par la place de l’érotisme, de la psychanalyse et les récits de ses liaisons amoureuses. Surtout connue comme diariste, elle est pionnière dans sa réflexion sur le rapport entre sexualité et création artistique et par la place donnée au désir féminin dans l’ensemble de ses livres. La dessinatrice publie une œuvre ambitieuse, biographie d’une personnalité hors norme et complexe, qui enchaîne les mensonges pour construire sa liberté et démultiplie sa vie en multipliant les rencontres.

La dessinatrice a choisi d’utiliser les crayons de couleurs. Le grain, les superpositions des teintes et les nuances subtiles rendent toute la légèreté et la douceur de cet univers. Son personnage est le plus souvent entouré de métaphores végétales ou marines, dont les ondulations et circonvolutions représentent les méandres de sa conscience et les détours de son inconscient. Dans plusieurs séquences oniriques, Léonie Bischoff délaisse le figuratif et livre des planches qui évoquent le surréalisme de Magritte, faisant preuve d’une créativité graphique qui séduit l’œil autant que l’intellect.

Esthétiquement original, délicieusement amoral, pudique malgré le sujet traité, Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges est à la hauteur de son ambition. Le lecteur accompagne les contradictions d’une femme qui ose s’interroger et s’affirmer. «Chaque homme à qui j’ai fait lire mes textes a tenté de changer mon écriture» proteste-t-elle. La résistance, voire la révolte, se paye parfois du prix d’un certain équilibre. En étendant le champ des possibles, cet album fait du bien.