Wilderness (Lance Weller) Wilderness

A bel Truman est un Robinson volontairement échoué au bord de l’océan Pacifique. Il y vit en compagnie d’un compagnon canin, simplement appelé « le chien », entre forêt épaisse et flots rageurs, se contentant d’un poisson ou occasionnellement d’un daim. L’apparente quiétude de cette existence cache les tourments de son âme et de son passé. Sa mémoire le renvoie sans cesse vers une famille désormais perdue et les horreurs de la guerre de Sécession, qui ravagea le pays autrefois. Il porte les stigmates de la culpabilité et des morts qui jonchèrent ses errances. Sa fille décédée avant qu’un prénom ne lui soit donné. Elizabeth, sa femme devenue folle. Huntley Foster, Gully Coleman, David Abernathy, tombés à ses côtés pendant une charge, alors qu’il portait l’uniforme sudiste. Toutes ces années où l’on s’entretuait pour un drapeau ou du café. Désormais, l’univers d’Abel tient entre une bougie, un portrait serré dans un médaillon et la Sainte Bible. Sa rencontre avec un vagabond et un indien assombrira encore une destinée pourtant déjà empreinte d’une noirceur abyssale.

En 2012, Lance Weller publia Wilderness, son premier roman (traduit en français et édité par Gallmeister en 2014). La critique vit dans cette épopée une œuvre digne de Charles Frazier ou Comac McCarthy. Antoine Ozanam (Les Âmes sèches, Popeye) en propose aujourd’hui l’adaptation, mise en image par le graphiste Bandini. Le potentiel tragique et plastique de l’œuvre originale a parfaitement été saisi et restitué par les deux artistes. Les grands espaces et les faces burinées sont rendus dans leur expressivité et leur part de mystère. Les atmosphères, souvent oppressantes, absorbent le lecteur, pour son plus grand plaisir. Bandini excelle dans la peinture des immensités, qu’elles soient montagneuses, célestes ou maritimes.

Les nombreux retours en arrière, qui peuvent égarer si la lecture est trop désinvolte, ont droit à un traitement graphique spécifique avec un noir et blanc dépouillé et élégant, alors que la couleur est réservée au présent de la narration. Ponctuellement, une porte bleue ou une chemise jaune y démultiplient l’impact narratif et la portée des symboles. L’absence de linéarité du récit permet une meilleure immersion dans la psyché troublée du personnage principal, chaque épisode constituant une pièce d’un puzzle qui se construit au fil des pages. Du rire, le plus souvent moqueur ou de démence, aux larmes, toute l’humanité est explorée et révélée dans son désespoir insondable. Vivre c’est perdre, s’attacher c’est s’exposer, savoir c’est tourner le dos à l’insouciance. La faucheuse, qui suit Abel comme son ombre, ne veut pourtant pas de lui ; toujours elle le ramène sur le rivage.

Wilderness est une plongée implacable dans ce que la condition humaine peut avoir de plus tragique. Sa lecture en est donc indispensable. « On a tous une part de diable en nous. Et la mienne ne demande qu’à s’exprimer » lance un vieux soldat sudiste.

Moyenne des chroniqueurs
8.0