Les naufragés de la Méduse

Le Radeau de la Méduse, de Théodore Géricault, demeure une des œuvres majeures du Louvre. Le clair-obscur se révèle bouleversant. Sur une frêle embarcation se trouve une poignée d’hommes aux corps émaciés et aux vêtements en lambeaux ; mais que font-ils là ? Quelle est leur histoire ? En fait, elle est double. Il y a tout d’abord celle d'une frégate conduite par un capitaine incompétent qui, en 1816, s’échoue sur un haut-fond, lequel figurait pourtant sur toutes les cartes maritimes. Puis, il y a celle, quelques années plus tard, d'un peintre enquêtant sur l’événement qu’il souhaite représenter sur une toile de très grand format.

Coscénarisé par Jean-Christophe Deveney et Jean-Sébastien Bordas, Les naufragés de la Méduse présente les récits de deux naufrages qui se font écho. D’abord, celui d’un navire, principalement écrit à partir de dépositions recueillies lors du procès et de témoignages de rescapés. Cette partie est bien documentée, le lecteur découvre le périple du bateau, sa direction erratique, l’accident et les différentes étapes de la survie, notamment le cannibalisme qui a dégoûté l’opinion publique.

En alternance, le scénario expose la vie de l’artiste qui navigue également en eaux troubles. La mésaventure est encore récente et la France voudrait oublier ce malheureux incident qui a embarrassé le ministère de la Marine. Enfin, au temps de la Restauration, le tableau a une portée politique non négligeable, certains y lisent d’ailleurs l’échec du retour de la monarchie. Obsédé par son sujet, le romantique ne recule pas ; il se rend à la morgue pour dessiner des cadavres, il emprunte même des membres de défunts qu’il emporte dans son atelier pour les reproduire. Un peu comme si son art se nourrissait, lui aussi, de dépouilles. Il est d’autre part l’amant de la femme de son oncle, une liaison qui provoque certaines tensions familiales. Avant de connaître la gloire, cette production sera froidement reçue par la critique.

Jean-Sébastien Bordas réalise un beau travail en couleurs directes. Ses scènes navales se montrent particulièrement saisissantes, le bédéphile sent l’océan et la tempête. Les personnages sont du reste bien exécutés et leur jeu est convaincant, entre autres les regards qui traduisent habilement les émotions. Un court bémol : les bouches trop souvent gratifiées de lèvres étrangement charnues ou disproportionnées. Finalement, la qualité de la colorisation à l’aquarelle retient l’attention. Pour tout dire, elle est un élément de la narration. La succession des tons ocres très chauds (surtout retenus pour les épisodes en mer) et de gris-bleu (essentiellement à Paris) contribue avec force au dynamisme de l’entreprise.

Une intrigue intelligemment construite, dans laquelle un tableau célèbre sert de prétexte pour raconter un homme et son époque.

Moyenne des chroniqueurs
7.5