La promesse de la Tortue 1. Tome 1

E n 1642, un navire emporte une centaine de détenues, voleuses ou prostituées, de la France vers l’Île de la Tortue, proche de Saint-Domingue. La manœuvre consiste à donner aux colons et flibustiers des épouses pour développer une population sur cette terre récemment conquise. Au cœur d’une tempête, Quitterie, Louise et Apolline sont balayées par une lame d’eau, tombent à la mer et doivent de rester en vie à un ballot auquel elles s’accrochent. Au milieu des embruns et des creux naît un pacte d’amitié, ces femmes étant bien décidées à reprendre en main leurs destinées. C’est le bateau dont elles ont chuté qui les récupère et les emmène vers une vente aux enchères où elles seront achetées par les hommes qui voudront d’elles. Louise sera acquise par Toussaint, un marin noir à la solde d’un forban breton. Apolline, blessée, est enlevée par Yuma, guérisseur, chasseur et boucanier. À la surprise générale, Quitterie aura Levasseur, le gouverneur, pour mari. Les compagnes sont séparées. Mais les tensions avec les Espagnols et les Anglais, le désir de vengeance et celui de retrouver leur pays les réuniront de manière inattendue.

Encore un album de pirates, serait-on tenté de s’exclamer, la mine boudeuse. Oui et non. Le récit prend en effet corps dans le siècle et la zone géographique qui correspondent à l’âge d’or de la piraterie, entre conquête du Nouveau Monde, rivalités géopolitiques et rêves de fortune. Cependant, le point de vue adopté par l’histoire de Stéphane Piatzszek (Le Commandant Achab, Le Maître des crocodiles) renverse doublement les codes du genre. D’une part parce que ce sont des aventurières dont le lecteur suit les pérégrinations ; d’autre part par le fait que leur engagement n’est pas motivé par l’or sonnant et trébuchant, mais par la volonté de retrouver une liberté qui leur a été confisquée dès leur plus jeune âge. La fourberie et la violence sont les seuls moyens mis à la disposition de trois femmes victimes de leur sexe et de leur époque pour retrouver la maîtrise de leur destin. Entre conflits raciaux et idéologiques (le père Anguénes incarnant l’obscurantisme le plus dangereux et hypocrite), les marges de manœuvre sont étroites pour trouver sa voie.

Le dessin de TieKo (Hindenburg, Tomoë) soutient parfaitement cette aventure. Ne cherchant ni l’originalité, ni l’esbroufe, il insuffle dynamique, émotion ou poésie quand le récit l’exige. Le choix esthétique s’est tourné vers l’efficacité et le consensuel. Davantage d’audace ou de personnalité graphique aurait indéniablement soutenu le caractère frondeur des damoiselles. Toujours est-il que le premier volume de ce triptyque interroge l’histoire, attise la curiosité et fait ressentir l’appel du large de bien belle manière.

Moyenne des chroniqueurs
6.0