Les générations Les Générations

U n train sillonne la campagne italienne. Mattéo, regard baissé et traits tirés, effectue le trajet retour vers son village natal. Une province qu’il a quittée pour Milan, un lieu surtout qu’il a fui à cause d’un homme. Depuis son coming-out, il n’a pas vu un seul membre de sa famille. Maintenant, qu’il se retrouve célibataire et sans emploi, Mattéo est contraint et forcé de revenir parmi les siens. Après trois années écoulées et un départ précipité au son des hurlements de son père, l’éternel adolescent appréhende nécessairement les retrouvailles.

Le catalogue de la maison Glénat s’enrichit des œuvres de la jeune et prometteuse Flavia Biondi. Son album Les Générations parait quelques jours avant le confinement. Pas évident, alors, d’obtenir une visibilité sur le marché français étant entendu que des distributeurs aux libraires, la chaîne du livre a dû cesser toute activité. Dès lors, il convenait de s’arrêter sur cette sortie en catimini afin de vous offrir un aperçu des premiers pas d’une artiste transalpine à l’avenir déjà tout tracé !

Le scénario propose une histoire de renaissance. Mattéo pose ses valises chez sa grand-mère. Sous le petit toit de la matriarche réside déjà un trio de tantes et une cousine attendant un heureux événement. Autrement dit, l’antihéros n’est pas le bienvenu. D’autant que, inactives, toutes ces femmes passent leur journée devant la télévision. Véritable bouillon de culture, cette situation caractérisée par de la promiscuité et par des difficultés financières légitime les confrontations entre les colocataires de fortune. Le contexte s’avère donc propice à l’échange, aux sautes d’humeur et aux révélations. À la manière d’une quête initiatique, l’antipathique tête d’affiche va évoluer, tendre la main à ses proches et même recevoir par réciprocité. Une trame narrative éculée, mais bien menée.

Pour donner vie à ce récit, l’illustratrice a utilisé un style semi-réaliste où son trait a manqué de variations dans les pleins et les déliés. Heureusement, elle a osé par moments des cadrages dynamiques, créant de facto une rupture du rythme de lecture. Coquetterie graphique, l’autrice a encré des taches de rousseurs sur les joues de l’ensemble de ses acteurs sans que ces points n’épousent réellement le volume de leurs visages. Ce parti pris étonne, n’apporte pas de plus-value et s’oublie même au gré des pages. En ce qui concerne les arrière-fonds, la dessinatrice anime aisément les intérieurs comme les scènes en plein air. Le décorum est souvent rectiligne, opposant la verticalité des façades strictement construites à l’aménagement horizontal des pièces. Enfin, les planches bénéficient d’une bichromie grise. Cette colorisation sobre permet à la fois d’accentuer la mise à nu des émotions des protagonistes tout en identifiant la valeur des plans. Économe et efficace.

Jouissant de nombreuses traductions, ce titre a trouvé un créneau de parution et a propulsé Flavia Biondi dans le cour des grands. D’ailleurs, l’éditeur grenoblois a déjà annoncé la publication de sa deuxième création, La Juste mesure. Un ouvrage qui se consacrera aux sentiments complexes éprouvés par un couple de trentenaires. Plus attendu encore, le comics Ruby Falls est actuellement édité aux États-Unis. Réalisé en collaboration avec Ann Nocenti et Lee Loughridge, les images qui filtrent de ce polar impressionnent par la parfaite lisibilité de la ligne claire de la bédéiste toscane. Une progression fulgurante !

Moyenne des chroniqueurs
6.5