La bombe (Alcante/Bollée/Rodier) La bombe

L e 6 août 1945 à 8h15, la ville d'Hiroshima a été bombardée par le B-29 américain, Enola Gay. Sa cargaison, Little Boy, 4 tonnes, explosa à 530 mètres au-dessus de la cité nippone et tua plus de 70 000 personnes en détruisant la ville. Trois jours plus tard, Fat man, transporté par le B-29 Bockscar, ajouta 35 000 habitants de la ville de Nagasaki à ce triste bilan. Le monde changea à tout jamais. Comment l'Humanité en est-elle arrivée là ?

Alors que la Seconde Guerre mondiale a souvent connu les honneurs du neuvième art et continue de passionner, si ce ne sont toutes les catégories de lecteurs, du moins les éditeurs soucieux de vendre, l'histoire de la bombe, sa genèse, ses expérimentations et son utilisation n'ont pas été exploitées avec autant d'intérêt. L'oubli est donc ici réparé grâce à la volonté d'Alcante, épaulé par Laurent-Frédéric Bollée au scénario et accompagnés par Denis Rodier pour la partie graphique. Ensemble, ils proposent de revenir sur cette épopée avec un pavé de quatre cent soixante-douze (rien que ça !) planches.

Devant un tel livre, la première réaction pourrait être le recul. Un sujet pas vraiment gai, une pagination copieuse et un noir et blanc a priori peu attrayant pour revenir sur des faits qui semblent connus de tous. Sauf que... non. Hésiter et passer à côté de cet ouvrage serait une erreur. Les auteurs l'expliquent très bien dans les diverses interviews (et notamment celle-ci), leur souci a toujours été de coller au plus près des faits sans jamais négliger l'intérêt. Et d'intérêt leur récit n'en manque pas. Aux côtés des personnages principaux, marquants et emblématiques, se meut un casting à faire pâlir les réalisateurs des prochains Marvel : Oppenheimer, Truman, Staline, Churchill, Fermi, Roosevelt, Einstein etc. ! Afin de lier ces grands noms et dérouler leur trame, les scénaristes ont choisi trois fils narratifs. Leó Szilárd, physicien hongro-américain précurseur de la réaction en chaîne et initiateur de la création d'une arme nucléaire avant de devenir le premier opposant à son utilisation pendant le conflit, le général Leslie R. Groves, responsable académique et bourru (voire borné) du Projet Manhattan et enfin une famille japonaise, les Morimoto, fortement impliquée dans cette guerre. Ce père et ses deux fils représentent d'ailleurs le seul apport fictionnel au milieu d'un impressionnant travail de documentation.

L'effort de vulgarisation scientifique, essentiellement l'œuvre de Didier Alcante qui s'appuie notamment sur Michel Decré, comme l'agencement de faits (très souvent) inconnus du grand public rendent ce livre accessible et passionnant. Anecdotes, opérations secrètes et réunions officielles, la matière est dense, mais tout est parfaitement lié et l'immersion efficace dès les premières pages et surtout, constante. Les décors de Denis Rodier, autant que sa mise en page, font mouche à chaque séquence. Le dessinateur offre des compositions ambitieuses et inventives pour appuyer l'importance de l'intuition de Szilárd, d'une explosion ou des monologues de l'Uranium ou joue des plans rapprochés lors des silences pour accentuer la force de l'instant. Les étapes du conflit, que ses complices reprennent de manière chronologique, entretiennent la tension et lui donnent l'occasion de varier les décors et les cadrages. Au gré de l'avancée de l'histoire et bien que l'issue soit un souvenir mondial indélébile, le lecteur s'attache à leurs personnages, les hait, les plaint, vibre avec eux, s'inquiète pour leur devenir, enrage devant leur décision ou les comprend. Évitant le piège du pamphlet manichéen, le trio d'auteurs brosse une fresque historique humaniste qui tient en haleine du prologue à l'épilogue.

Haletant, glaçant, hypnotique, magistral, les adjectifs sont nombreux pour qualifier La Bombe. Avec cet album, Denis Rodier, Alcante et Laurent-Frédéric Bollée marquent les esprits et offrent aux lecteurs une œuvre aboutie, marquante et essentielle qui trouvera facilement sa place aux côtés de Maus ou La guerre d'Alan.

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