L'arrache-cœur L'Arrache-cœur

D écidément, il se passe de drôles de choses dans cette lande désolée que parcourt un homme ayant, pour unique bagage, une sacoche. Passant à proximité d'une demeure lugubre, il entend des cris déchirer le silence. Une femme enrobée essaie d'accoucher. Mettant à contribution son instinct, il extirpe non pas un, ni deux, mais trois nourrissons : des «trumeaux». Manifestement, Clémentine a du mal avec sa délivrance toute récente, obsédée par le bien-être de ses enfants et dégoûtée de son propre corps, ainsi que de son mari. Un très bon sujet d'étude pour ce psychanalyste de passage, en déficit de cas intéressant.

En même temps que L'écume des jours des jours, Delcourt réédite en bande dessinée le dernier roman de Boris Vian paru en 1953. Dans un village isolé, le lecteur suit une poignée d'individus vivant plus ou moins bien leurs névroses avec, comme observateur actif, un étranger curieux de ces mœurs étranges et avide de patients. L'ambiance se révèle pour le moins malsaine, les habitudes, traditions et autres éclats des habitants s'avérant pétries de violence et, surtout, absurdes (torture de chevaux, vente aux enchères de vieillards, combat de curés...), vues de l'extérieur. Tout cela cache finalement une réflexion abordant plusieurs domaines (psychanalyse, monde rural, religion, maternité...), mais concerne de manière globale l'humanité et ses tares. Accordant un petit côté comique, les inventions de vocabulaire parsèment la narration, le romancier aime jouer avec les mots en inventant des mois et leur durée par exemple. Chaque protagoniste secondaire sert de contre-argumentaire au médecin et à sa vision toute personnelle de la vie. Assurément burlesque et surréaliste, le texte intelligent ne manque pas de poésie sombre et de passages crus.

Maxime Péroz propose un graphisme en noir et blanc plutôt particulier dans le rendu. L'absence de relief se fait sentir, gênant fréquemment la lisibilité, néanmoins, le choix des perspectives et les mises en abîme sont judicieuses et accentuent la sensation de vertige due à l'intrigue perchée.

Il faut accepter de se laisser décontenancer par les situations exposées dans cet ouvrage qui aborde, si l'imprudent accepte de se prêter au jeu, de profonds sujets de réflexions. Une adaptation en images audacieuse qui permet d'entrevoir l'esprit complexe de l'auteur de l'oeuvre originale.

Moyenne des chroniqueurs
5.0