Hippolyte

G oldy Town, mars 1872. Un mystérieux cavalier exprime sa satisfaction. Il a trouvé leur planque. Sur la rive d’un cours d’eau discret, au fond d’une dépression qui la dissimule aux regards. Hippolyte, la ville minière abandonnée, qui abrite désormais un gang de braqueuses, mené par Abby, l’ancienne institutrice. Victoria, Jane, Angels et les autres vivent au rythme des attaques de convois. Elles sont rusées, rapides et impitoyables. Nul témoin ne subsiste, qui aurait pu déceler un élément de leur identité. La mécanique semble bien huilée. Le mercenaire si content de lui se fait prendre par la meute. Le temps d’une attaque, il est confié à Augustina, frustrée d’être écartée de l’action à cause de son jeune âge. Elle doit faire ses preuves et ne veut plus attendre. Le braquage tourne mal, des filles mordent la poussière. La situation sera sauvée par le retour de Brooke, qui avait quitté la clique dix ans plus tôt, brutalement et sans explication. Dans les environs, on parle de la réouverture de la mine. Plus que jamais, la communauté est menacée.

Clotilde Bruneau, qui a écrit plusieurs épisodes de la série La Sagesse des mythes chez Glénat, et Carole Chaland, issue de l’illustration et du jeu vidéo, revisitent un genre. C’est La Diligence (Goscinny et Morris, pour les distraits) version féminine et sanglante. Le western y est narré avec le nécessaire d’éléments classiques et immuables (l’Amérique sauvage, les quêtes des personnages, la dimension tragique) et ce qui bouscule et revivifie tous ses codes. En l'occurence, c’est ici la transposition du mythe des Amazones au Far West (dans la mythologie grecque antique, Hippolyte, fille d'Arès, est une reine de ces femmes guerrières). Le cœur du récit est la survie, qui justifie le crime et la protection absolue de l’espace caché où la petite société peut s’épanouir. La subtilité de l'histoire de Clotilde Bruneau est de faire surgir l’élément perturbateur non pas de l’extérieur, menace trop évidente, mais du sein du clan, comme le ver dans le fruit. Obsédées par le danger de l’ailleurs, les vaillantes combattantes ne voient pas la pointe de pourriture gangrener insidieusement leur fragile équilibre.

Pour mettre en image Shakespeare à Monument Valley, Carole Chaland a recours à un trait relativement épuré, ne s’embarrassant pas de détails graphiques superflus, mais sans concession pour travailler l’impact d’une case, l’originalité du découpage ou l’élégance de ses personnages. Toutes criminelles qu’elles soient, ses héroïnes sont belles et sexy. Un jeu subtil de couleurs impose des atmosphères marquées, de la chaleur torride du désert à certaines tensions nocturnes. Le graphisme évoque immanquablement celui des comics actuels, avec cette économie d’information qui peut ne pas plaire à tout le monde.

Œuvre féminine sans être féministe – écueil qu’il fallait éviter – Hippolyte est une alternative à Wonder Woman, qui n’a pas l’apanage de la déclinaison contemporaine du mythe des Amazones. L’intrigue, qui peut se lire à différents niveaux, saura trouver son public bien au-delà des amateurs des colts et des Winchesters. La socialisation, la vie en vase clos et les obsessions voilant les vrais dangers proches sont les ressorts de cette bande dessinée fortement conseillée.

Moyenne des chroniqueurs
7.0