Pucelle 1. Débutante

L a famille Dupré la Tour jouit du statut privilégié d’expatrié, en Argentine. Riches, catholiques, vivant dans un entre-soi, les enfants sont élevés par une mère effacée et un père principalement absent et exceptionnellement tyrannique. Au sein de ce milieu bourgeois, il y a des choses qui ne s’évoquent pas. Précisément, ce qui se passe en-dessous de la ceinture, n’a pas de mot puisque cela ne doit pas être abordé. Lorsque la mère de Florence raconte, à l’occasion d’un dîner, la nuit de noce d’une grande-tante paternelle éduquée dans l’ignorance de la sexualité, l’auditoire s’esclaffe. Les parents bien entendu, mais plus étonnamment, Bénédicte (la sœur jumelle) et Violaine (l’aînée), ainsi que Jérôme (le benjamin et seul héritier masculin), tous se tordent de rire. Qu’une aïeule fuie la chambre nuptiale en hurlant de peur que son mari essaye de lui retirer sa culotte, est-ce si drôle ?

Après des publications jeunesses (Borgnol, Capucin) et un passage par le récit performatif (Cigish où le maître du jeu), Florence Dupré la Tour a engagé un virage autobiographique aux éditions Dargaud. Un triptyque sur son enfance inauguré par le machiavélique Cruelle. Poursuivant avec des codes graphiques similaires, la dessinatrice réalise Débutante, le premier tome de Pucelle, un titre se consacrant à la découverte de sa féminité et à son rejet de sa condition de femme. Son propos est renforcé par la dérision. Ainsi d’un trait fin déposé à la plume, l’artiste caricature les expressions de sa nombreuse fratrie. Rehaussés d’une aquarelle, plus ou moins mouillée, les sentiments des protagonistes sont exacerbés au point que la satire s’en retrouve adoucie. Le rendu obtenu est un savant mélange du Petit Christian de Blutch, notamment eu égard à la quadrichromie mise en œuvre (blanc, noir, magenta, gris), et également, d’Idéal Standard de Aude Picault, au vu de la technique adoptée et de la légèreté de l’encrage. D’ailleurs, le scénario se rapporte tout autant à ces deux classiques, attendu que les souvenirs datant du bel âge témoignent des aléas du quotidien féminin.

De Buenos Aires à Nagot, de la Guadeloupe aux Alpes françaises, l’autrice sillonne son passé en quête d’anecdotes toutes délicatement rapportées et singulièrement drôles. Hormis quelques transitions abruptes, les scénettes se succèdent subtilement sans que le lecteur perçoive les ellipses. Une sensation de fluidité se dégage de la narration et l’écueil de l’effet catalogue ne se fait pas ressentir. Pêle-mêle, l’illustratrice expose ses premières menstruations, son incompréhension devant les publicités vantant les mérites des serviettes hygiéniques, mais encore une après-midi où sa chienne pure race, Chica, reste impassible malgré les chevauchements répétés de Dib, un bâtard. Des tranches de vie croustillantes qui construisent en filigrane une critique du patriarcat et des méfaits de la religion sur la construction des petites filles ; puis qui offrent une confession sur la xénophobie anodine.

Aussi mordant que nécessaire, Débutante est une entrée en matière raffinée et caustique. La suite, et fin, naviguera de l’adolescence à la majorité, jusqu’à ce que l’héroïne fasse « la chose ». Une balade s’annonçant déjà exaltante et corrosive !

Moyenne des chroniqueurs
7.0