La malédiction du pétrole

S elon les historiens, l’humanité est entrée dans l’ère du pétrole en 1859, du côté de la Pennsylvanie, quand l’étrange machinerie du Colonel Drake - le premier derrick - a touché une nappe productive. Même si personne n’en a alors vraiment besoin ou l’usage, l’or noir devient dans la foulée une matière première comme peuvent l’être le charbon ou les différents métaux. Il faudra attendre quelques décennies et les progrès de la chimie, bientôt devenue pétrochimie, ainsi que l’invention du moteur à explosion pour qu’il devienne la substance essentielle à l’essor industriel mondial. Évidemment, avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités et, malheureusement, l’appât du gain et la realpolitik ont immédiatement transformé cette richesse minérale en un outil de pouvoir et de mort.

Avant tout ouvrage didactique à la narration presque sévère, La malédiction du pétrole est une lecture instructive que Jean-Pierre Pécau et Fred Blanchard ont déguisé en conte macabre. Les métaphores graphiques sentent bon le gothique victorien, les buildings art déco des nouveaux riches de la Côte Est projettent leurs ombres menaçantes, tandis que les portraits expressionnistes des principaux acteurs hantent les pages. Le propos est grave, dramatique et encore, la cruciale question des changements climatiques n’est pas évoquée avant l’épilogue.

La BD documentaire, journalistique ou pamphlétaire est à la mode. Sur un thème connexe, Philippe Squarzoni dans sa formidable Saison Brune a déjà souligné les dérives de l’industrie pétrolière. De leur côté, avec Les meilleurs ennemis, Jean-Pierre Filiu et David B. racontent également les relations troubles qu’entretiennent les USA et les pays arabes, particulièrement l’Arabie Saoudite, avec, en toile de fond, l’accès au stratégique naphte du désert. À la limite de l’allégorie et n’hésitant pas à s’appuyer sur une imagerie quasiment fantastique, Pécau et Blanchard apportent une vision très personnelle, mais pas moins intéressante et évocatrice de la dépendance aiguë que notre société a développée au fil du temps pour le précieux hydrocarbure et ses dérivés.

Rappel salvateur ou révélateur de ce qu’implique de faire le plein de sa voiture, La malédiction du pétrole se lit comme un thriller sanglant où tous les coups sont permis. Pourtant, il s’agit bien de la réalité, cette dans laquelle nous vivons.

Moyenne des chroniqueurs
6.0