Rover Red Charlie

R over, Red et Charlie se souviennent avoir été des chiens heureux. C'était l'époque où leurs maitres s'occupaient d'eux, où les gamelles débordaient de croquettes et les promenades étaient fréquentes. Ça, c'était avant le drame. Mais comment faire et s'en sortir depuis qu'une forme d'apocalypse les a privés de ceux et celles qui leur apportaient ces (ré)conforts ? Désormais constitué, le trio canin va partir en quête d'éventuels survivants qui pourront les adopter et leur donner de quoi se remplir le ventre ainsi que, cerise sur la pâtée, un bon "coucouche panier".

«Le chien, c'est la vertu qui ne pouvant se faire homme, s'est faite bête» -Victor Hugo

C'est en 2013 que paraît, en format numérique puis en papier quelques mois plus tard, le premier tome des aventures de Rover, de Red et de Charlie. Au final, ce sont six épisodes qui viendront ponctuer un récit à la fois futuriste, pertinent et décalé. Pour le plus grand plaisir des groupies de Garth Ennis et après de longues années d'attente, c'est Komics Initiative, le label français créé par Mickaël Gereaume, qui se charge de prendre le relais pour en proposer un one shot.

Les lieux, contextes et les raisons qui ont conduit à l'anéantissement total de l'espèce humaine demeurent volontairement flous. Guerre ou pandémie, là n'est pas l'orientation souhaitée. L'intérêt est de suivre l'itinéraire de trois héros à quatre pattes, abandonnés à leur triste sort, et, par conséquent, livrés à eux-mêmes. Plus qu'une immersion ordinaire, le scénariste de renommée mondiale, multi-primé avec des œuvres comme Hellblazer, Preacher ou Hitman, choisit de se placer du point de vue des chiens en se les appropriant corps et âmes. Pour y parvenir avec autant de brio, il propose simultanément des traductions aux aboiements ainsi que des raisonnements primaires qui vont naturellement et directement là où sont les préoccupations et les priorités. Conscients de posséder un intellect limité, voire très inférieur à celui de leurs «nourrisseurs» humains, les «penseurs», terme employé pour désigner les cerveaux des cabots, leur permettent néanmoins d'être tout à fait lucides quant aux nouvelles conditions qu'ils devront dorénavant affronter pour survivre. Là est le défi que leur impose Ennis. La parole étant donné uniquement aux animaux, le lecteur abordera un genre maintes fois évoqué sous un angle foncièrement différent. Cruel et tendre, parfois scabreux, souvent accusateur et résolument optimiste, d'une page à l'autre, le propos se révèle vite attractif, exerçant une emprise dont, telle la laisse attachée au cou, il s'avère bien difficile de se défaire.

Bien que moins à son aise sur les seconds plans et sur les silhouettes des personnages secondaires, pour le reste, le coup de crayon réaliste de Michael DiPascale est bluffant. Le dessinateur, qui s'est la plupart du temps consacré aux couvertures de nombreux comics, répercute parfaitement les émotions ressenties sur les gueules de ses toutous : l'horreur quand il s'agit de découvrir les cadavres qui jonchent leur parcours, mais aussi la tendresse qui émane de leur amitié. Il n'oublie pas de retranscrire la souffrance psychologique, ainsi que la peur de l'avenir et, plus éloquent, la détermination lorsque la menace et le danger paraissent inévitables.

Garth Ennis, va une nouvelle fois à "rebrousse-poils" des clichés et des standards, pour procurer, dans le style qui le caractérise le mieux, un excellent moment de lecture.

Moyenne des chroniqueurs
8.0