La baronne du jazz

L e nom de Kathleen Annie Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild (1913 – 1988) est peu connu en dehors du cercle des amateurs de jazz. Il est vrai que l’association d’un patronyme prestigieux du monde de la finance et de l’aristocratie européenne avec les pionniers du be-pop est passablement surprenante. D’où peut bien venir cette connexion entre ces deux univers si éloignés ? Comment passe-t-on du luxe d'un château anglais aux rues de Harlem ? Sûrement pas en suivant les règles établies ! De plus, avant de devenir la mécène et la muse des musiciens noirs du New-York de l’après-guerre, « Nica », comme elle était surnommée, avait quand même pris le temps de remplir son « rôle » de femme au foyer en fondant une famille nombreuse (cinq enfants) et de participer activement à la campagne d’Afrique du Nord au côté de son mari. Instable, ingérable ou excentrique selon ceux de sa classe, elle était avant tout libre et annonciatrice d’un certain féminisme.

Biographie très bien étayée, La baronne du jazz retrace l’existence impensable d’une figure inclassable du XXe siècle. Stéphane Tamaillon a choisi une approche classique dans la construction de son ouvrage : enfance, adolescence, guerre et amitié indestructible avec Thelonious Monk, le génie malade et autodestructeur. Les épisodes clefs (sa relation fusionnelle avec son père, le choc lors de la découverte via son frère de la musique « nègre », ses tentatives d’émancipation, etc.) sont passés en revue et clairement exposés. Le scénariste fait avant tout confiance aux faits et préfère jouer sagement sa partition plutôt que d’improviser. Son choix est compréhensible, mais manque néanmoins d’audace et d’énergie pour raconter cette vie menée sur un tempo infernal.

Avec un style rappelant espièglement celui d’Al Hirschfeld, le caricaturiste de l’âge d’or de Broadway, Priscilla Horviller se montre plus ambitieuse. Mise en page variée, cases fermées ou ouvertes, un joli choix esthétique au niveau des couleurs, la dessinatrice arrive à dépeindre les multiples pérégrinations de son héroïne d’une manière originale et très réussie. Pour un premier album, elle fait preuve d’une aisance remarquable et sert parfaitement son sujet.

Plus posé, mais pas moins fort que l’excellent Monk ! de Youssef Daoudi, La baronne du jazz est une lecture prenante et généreuse, il fallait bien ça pour tenter de cerner l’esprit indépendant de cette personnalité hors du commun et infiniment attachante.

Moyenne des chroniqueurs
7.0