La quête de l'oiseau du temps 10. Kryll

À la fin de L'Emprise, Bragon déclarait que la peur allait changer de camp. Depuis, il traque sans relâche les adeptes de l'Ordre du Signe, ne laissant des survivants que pour qu'ils témoignent qu'aucun membre de la secte n'est à l'abri de sa vengeance. La Grande Prêtresse décide alors d'éliminer ce gêneur. Au centre de son plan se trouve Kryll, une "fleur-de-peau".

Avant la Quête reste une série qui provoque des réactions ambivalentes chez les lecteurs. D'un côté, il y a le plaisir de retrouver l'univers mis en place par Loisel et Letendre, décliné de manière cohérente et respectueuse. De l'autre, il existe une frustration face à une publication au début très hachée, qui en est à son quatrième dessinateur en six albums et qui souffre de la comparaison avec sa glorieuse origine.

À son désavantage, cette préquelle ne possède pas intrinsèquement le fil narratif fort de La Quête de l'Oiseau du Temps : une mission claire, une échéance précise qui permet une dramatisation forte. De plus, la série-mère possède deux atouts indépassables : l'album Le Rige, qui est probablement l'un des tout grands albums de ces cinquantes dernières années (c'est en tout cas l'avis de l'humble chroniqueur qui rédige ses lignes) et une chute particulièrement marquante.

Ajoutez-y le statut particulier d'être l'une des premières tentatives (réussies) d'heroic fantasy sous nos latitudes et de représenter pour beaucoup de lecteurs une forme de rupture par rapport à la bande dessinée "classique", rompant avec le principe des séries et imposant des personnages originaux. Et comment oublier Pelisse, héroïne d'un nouveau genre ? Voilà la recette idéale d'une madeleine de Proust que le lectorat idéalise sans doute un peu.

Tout cela pour dire que si l'envie de voir la Quête continuer reste forte, le résultat ne peut pas rivaliser avec les attentes, quels que soient les efforts déployés par les auteurs. Et force est de reconnaître qu'Avant la Quête a parfois raté le coche, d'abord en suivant d'un peu trop près la structure du cycle originel (les trois premiers tomes semblant correspondre directement à ceux de la Quête : un épisode pour narrer le départ, un pour investir le temple de l'oubli et un pour se confronter eu Rige), puis en jouant de manière un peu trop facile la connivence avec le lecteur en soulignant à l'excès les liens entre les deux périodes.

Régis Loisel et Serge Letendre semblent avoir maintenant trouvé leur vitesse de croisière. La menace incarnée par la secte du Signe prend de l'ampleur et le scénario en profite pour exprimer une mise en garde contre l'intégrisme religieux qui, à défaut d'être révolutionnaire, n'est jamais inutile. Le récit en général évite les digressions pour se concentrer sur un déroulé efficace et rythmé. David Etien assure la continuité graphique, bien soutenu par la mise en couleur de François Lapierre.

Un basculement semble enfin s'opérer dans ce sixième épisode, suggérant que la conclusion de cet arc s'approche. Le paysan qui était parti à l'aventure sous l'impulsion de L'ami Javin a définitivement perdu toute forme de naïveté incarne désormais un héros sombre et tourmenté. Il faudrait, selon les sources, encore deux ou trois albums pour conclure, et que Loisel reprenne enfin ses pinceaux pour conter ce qu'il advint de Bragon après la quête... et pour retrouver Pelisse.

En attendant, Avant la Quête ne sera sans doute jamais à la hauteur du souvenir de La Quête de l'Oiseau du Temps... Ce n'est pourtant pas une raison pour la bouder. Cela reste un plaisir de retrouver le monde d'Akbar, les Sept Marches, son bestiaire étrange et quelques personnages emblématiques comme Mara, Bodias ou Bulrog

Moyenne des chroniqueurs
7.0