L'amant (Takahama) L'Amant

A près avoir rencontré un admirateur sur le quai d’une gare, une écrivaine célèbre se remémore sa jeunesse en Cochinchine dans les années 30. Elle se revoit, adolescente de quinze ans et demi, vêtue d’une robe légère, installée sur le bac traversant le Mékong la conduisant de son lycée à son pensionnat. Ce jour-là, ses yeux s'attardent sur une belle voiture noire et croisent le regard de son propriétaire, un riche Asiatique. Ils discutent, se plaisent. Elle se dit qu’il pourrait l’aider à sortir de la misère et s'offre à lui. Ainsi débute une liaison au rebours des conventions, mais l'initiant à l’ivresse des sens…

Incontournable de la littérature française du XXème siècle, L’Amant a connu le succès dès sa parution en 1984 et a été porté au cinéma par Jean-Luc Annaud en 1991. Cette version ne convenant pas à Marguerite, elle réécrit son œuvre autofictionnelle dans L’Amant de la Chine du nord. C’est forte de sa connaissance des deux textes et d’un voyage dans l’ancienne Indochine que Kan Takahama (Le dernier envol du papillon, Le goût d’Emma, La Lanterne de Nyx) a entrepris d’adapter le roman en manga.

Collant à la trame d’origine qu’elle respecte, l’autrice japonaise apporte cependant sa vision personnelle. Ainsi, comme elle l’explique dans la préface de l’album, elle a fait du « Chinois » un homme dont l’âge n’est pas tellement éloigné de celui de l’héroïne. Par ailleurs, le style indirect libre des dialogues durassiens le permettant, les échanges s’enchâssent adroitement dans les phylactères, tandis que les pensées de la narratrice viennent dériver et peupler les planches en voix-off. De plus, une grande partie de l’écriture s’exprime visuellement et c’est plutôt réussi, du moins en ce qui concerne le couple et la relation amicale avec Hélène Lagonelle. L’attirance et la sensualité s’expriment dans le jeu des regards et la manière de souligner l’expression des sentiments reflétés sur les visages. Seule la propension à l’émotivité larmoyante de l’amoureux transi peut paraître un rien agaçante. En revanche, si le basculement de la mère d’un accord intéressé – elle pousse sa fille dans les bras de celui qui la déflore, espérant en tirer un bénéfice économique – à un désaveu outré s’avère convaincant, la complexité des liens familiaux avec les frères est traitée trop superficiellement. L’histoire est portée par le graphisme doux de la mangaka et baigne dans une atmosphère lumineuse, ponctuée par des ambiances plus intimes lors des scènes se déroulant dans la pénombre des alcôves. Une sorte de fraîcheur s’en dégage qui doit beaucoup au trait fin et doté d’une certaine délicatesse. Le découpage et les cadrages assurent, eux, lisibilité et dynamisme.

Profitant d'une belle édition cartonnée chez Rue de Sèvres, cette adaptation de bonne facture se lit avec plaisir et donne envie de se (re)plonger dans le livre qui l'a inspirée.

Moyenne des chroniqueurs
5.7